samedi 21 février 2015

Fasnet : Narro blancs et Diables rouges

Avant-dernier article de ma semaine consacrée au Fasnet ! Je pensais pas que ça allait aussi intense à rédiger... Cela dit j'ai (re)découvert plein de choses en faisant mes recherches, et les choses que j'avais vu dans des musées ou lu dans des livres se sont imbriqués dans une sorte de grande fresque cohérente, c'est toujours plaisant comme sentiment... C’est notamment le cas avec les diables de Triberg dont j'avais déjà visité le musée du Fastnacht (deux fois !).


Le Federschnabel et un Spättlehansele dans le fond.
Triberg est une jolie petit ville surtout connue pour ses chutes d'eau dont je vous ai déjà parlé. Mais elle est également très active dans le domaine du Fasnet et on y trouve même un musée dédié. Plusieurs figures très reconnaissables nous viennent de Triberg, comme le Federschnabel, l'oiseau à gros bec que l'on voit au début du cortège. Ses origines sont confuses, si ce n'est qu'il a au moins quatre cents ans d'existence. Certains disent qu'il est censé être un porte-bonheur, d'autres au contraire un oiseau de mauvais augure (Pechsvogel). Pour des raisons d'hygiène, le plus vieux costume a été brûlé après la première guerre mondiale, mais on sait qu'il était à l'époque composé de plumes d'oiseaux locaux, alors qu'il est aujourd'hui plus coloré et exotique... Le masque en bois est inspiré du masque original qui se trouve justement dans le musée.

Le Roter Fuchs, ou Renard Rouge
Au côté du Federschnabel on voit également, au début du cortège, le Roter Fuchs, une figure de Renard Rouge, qui est l'incarnation de la malice des Narro (symbolisée comme on l'a vu si souvent par une... queue de renard). La figure est ancienne, l'une des plus anciennes du carnaval souabe-alémanique et, comme on l'a vu étroitement lié à sa représentation, comme la queue de renard ou le renard chassant le lièvre sur les pantalons des Weißnarren. D'ailleurs, il portait lui aussi un "sabre" comme certains Narro blancs, et son masque était très proche de celui des Spättlehansele du Triberg. Ce n'est qu'en 1952 qu'il reçut son masque de renard, et en 1958 qu'il perdit ses attributs de Hansele. Il est également parfois étrangement associée ou mis en parallèle avec les sorcières ou le Diable Rouge dont il serait peut-être à l'origine et dont il porte encore la couleur (le costume est fait de telle sorte qu'on puisse distinguer le rouge sous le pelage du renard), et a failli disparaître - remplacé par ses deux "descendants" - avant de faire son retour en 1928.

Mais la figure la plus célèbre reste justement le Diable Rouge du Triberg. Il a été créé en 1893, après les Spättlehansele de Triberg (qu'on voit dans la vidéo également, cela dit je pense avoir suffisamment expliqué les origines et attributs de ce type de figure donc je n'y reviens pas), mais s'est imposé après la seconde guerre mondiale comme une image de marque, avec son costume rouge vif relevé de noir. Un baudrier de grelots dorés, une fraise (noire), une queue de renard... ses attributs sont proches de ceux d'un Hansele, pourtant son masque est celui d'un diable (avec cornes et barbe, hein, on fait pas les choses à moitié), et la baudruche en vessie de porc est ici remplacée par... un martinet. Certains disent qu'il s'agit d'une version diabolisée du Roter Fuchs, mais il semblerait que l'origine ou du moins l'inspiration pour cette figure serait à trouver dans la diabolisation de cette fête dans les vieilles archives de la ville qui qualifient le Fasnet de "diablerie". On retrouve ici un indice sur les origines compliquées de cette fête, qui rejoint sur ce point les archives de Wolfach (ville que nous avons vu hier) qui décrivent la fête du Fasnet comme une "absurdité païenne". Cette origine "impie" et diabolique se retrouve donc dans ce costume et l'expression même que lancent les Diables : "Im Namen des Herrn Entèchrist, der Narrètag vorhandè ist, schönè Tag, lièbè Tag, aller Narrè Ehrètag!" soit à plus ou moins : "Au nom du Seigneur Antéchrist, qui est présent en ce Jour des Fous, un beau jour, un jour de bonté, un jour d'honneur pour tous les Fous !". Cet Antéchrist présent en personne on le voit avec sa fraise rouge au sommet du char...
Triberger Teufel !
La figure qui arrive après le Diable du Triberg est le Baaremer Weißnarr de Bad Dürrheim

Certes c'est un Weißnarro somme toute assez classique, je ne reviendrais pas sur l'ensemble de l'archétype, mais il est l'un des plus connus, peut-être à cause de sa fraise, de sa cravate de soie, ou du fait que son baudrier de 25 grelots n'est pas croisé sur son torse, comme la plupart des Narro, mais porté en parallèle. Les motifs peints sur son costume ne sont pas non plus uniquement floraux, mais beaucoup du domaine de la culture saline (tour de forage, tapis roulants, etc.) qui a fait la richesse de Bad Dürrheim, ainsi que du griffon et du lion du blason de la ville. Cette tradition de la production et du commerce du sel a également donné naissance à une autre figure, très particulière : Le Salzhansel.

Un Salzhansel isolé du groupe...
Ce Hansele du Sel porte un costume constitué de 800 à 1000 petits sachets de sel marqué en vert de "Esprit du Sel de Bad Dürrheim", "Bad Dürrheim Salzgeist" et fermés par des rubans multicolores - 5 couleurs pour les cinq sortes de sel produites par la ville. La forme du masque évoque elle aussi un sac de sel. Et comme un Hansele n'est pas un Hansele sans ses grelots, quelques 400 à 500 petits grelots s'ajoutent au costume. Il porte évidemment une queue de renard, et son attribut particulier est une béquille saline, comme celles utilisées par les travailleurs du sel (en miniature, tout de même). Le Salzhansel est une figure très récente (1932) mais elle s'impose comme dans la lignée de ces costumes "classiques instantanés" parce qu'elle évoque la région, ses artisans et son identité (un peu le Klapperlenarro).

Encore une fois, on peut voir que c'est souvent une affaire de famille où l'on n'hésite pas à intégrer même les plus jeunes... en costume, évidemment !
Un Pflumeschlucker avalant une prune entière.
Dans le genre classique instantané, Bonndorf nous offre un bel exemple de figure atypique mais immanquable : Le Pflumeschlucker. Littéralement "avaleur de prune". Leur costume évoque l'habit traditionnel de la ville de Bonndorf, mais on remarque très vite que leur masque est assez particulier : Ce visage souriant, un peu trop pour être franchement malin, tient entre ses dents une prune. L'origine de cette figure est à trouver dans la légende selon laquelle les habitants de Bonndorf auraient mangé les premières prunes qu'ils aient vu en entier, sans retirer le noyau. Ils auraient donc avalé toute la prune. Ce personnage créé en 1926/27 est donc une référence à cette vieille réputation de ne pas avoir inventé l'eau chaude ! Autant dire que la ville de Bonndorf a de l'humour et sait ne pas se prendre trop au sérieux. Après tout, c'est aussi ça l'esprit du Fasnet. A noter que si cette figure est récente, Bonndorf fabrique des masques de Fasnet depuis 1766...

Dans le genre Weißnarro très populaire on trouve le Narro de Donaueschingen (la ville où j'ai vécu ma petite enfance). Il appartient lui aussi au groupe des Baaremer Weißnarr, mais a été un peu plus personnalisé dans les années 50, avec une couronne de fleur et de fruits autour de son masque, lui même portant cette petite moustache caractéristique. Son symbole du Droit des Fous est ici le parapluie, un attribut de Fou qu'on a déjà pu voir chez les Pflumeschlucker de Bonndorf. Sa compagne Gretle est aussi ancienne que lui (1783) et porte le costume traditionnel de Donaueschingen de la moitié du 19ème siècle. Ils sont ici accompagnés des vachers, reconnaissables à leur chemise bleue et à leur baudruches constituée de plusieurs vessies de porcs.
Hansele et Gretle, de Donaueschingen.
Les Narro de Geisingen sont des Weißnarren assez typiques, je ne vais donc pas partir dans le détail, vous savez désormais reconnaître leurs attributs (n'est-ce pas ? N'EST-CE PAS ??), et en avoir vu trois variations assez différentes malgré leurs points communs atteste de la diversité au sein même d'une même figure, d'un même archétype. De même pour les sorcières qui les accompagnent, elles sont assez classiques, inutile de s'y étendre. Elles ont cependant un nouvel instrument de "torture" à vous montrer, ça va vous plaire...

Demain je conclue ma semaine d'articles sur le Fasnet. Il me reste deux vidéos mais je vais me débrouiller, de toute façon vous commencez à bien connaître les symboles et les archétypes, vous devriez bien vous en sortir si d'aventure vous avez la chance d'assister à un défilé du carnaval souabe-alémanique...

Au programme demain, donc, de nouvelles villes nous offrirons un récapitulatif des grandes figures, des sorcières aux Hansele en passant par les hommes sauvages et des figures type Röslehansele... On va voir si vous avez bien tout suivi, hinhinhin...

1 commentaire:

  1. Hum .... Y'a une interro à la fin ?
    Non parce-que si c'est le cas ... 'va falloir qu'on révise tout depuis le début ... ;)
    Merci pour cette thèse sur le Fasnet ! Le tout décrit avec un grand souci du détail ^^ (Deutsche Qualität)

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