Les Hänsele dont je vous parlais dans l'article précédent, portant un costume blanc peint de motifs floraux sont des "Weißnarren" soit des "Fous Blancs". Le type de Hänsele que nous allons voir parader maintenant sont des Blätzlebuebe, qu'on traduirait plus ou moins les Garçons Reprisés. Si on retrouve le motif du patch et de la reprise comme chez les sorcières, ici il ne s'agit pas de réparation de fortune sur un vêtement crasseux. On est en fait pratiquement face à la figure du arlequin.
Ce type de Narro est certes moins courant que la version blanche, mais se retrouve dans plusieurs villes et vous en verrez passer plusieurs groupes, là encore avec quelques variations locales qui les rendent uniques. Leurs grelots sont aussi plus petits et plus discrets que ceux de leurs grands frères blancs, pourtant ils n'en font pas moins de bazar, puisqu'à défaut de faire du gros bruit ils viennent vous frapper (gentiment) avec des vessies de porcs gonflées ! On en revient toujours à la chasse de l'hiver et de ses démons dont on se protège par l'anonymat du masque et qu'on fait déguerpir à grand renfort de vacarme de grelots, de claquements, de crécelles, et comme ici de coups de vessies. Mais si les Weißnarren symbolisent le printemps, certains pensent que l'origine des Narro "reprisées" serait une mimique de ces esprits hivernaux, que l'on porterait pour s'en moquer... Les versions les plus anciennes étaient d'ailleurs plus proches des Wildermänner, les Hommes Sauvages (qu'on verra plus tard, un peu de patience !), qui sont des esprits de la nature et des bois "positifs". On peut donc imaginer les versions négatives de ces esprits de la nature être d'abord parodiés avant que le costume n'évolue en cette version multicolore, mais rien n'est certain. Tout ce que l'on sait par les restes archéologies et historiques c'est que le costume plus ancien fait de mousse et d'écorce était extrêmement populaire...
Intéressant également : La majorité de ces Blätzlebuebe ne portent pas de masques en bois mais d'étoffe, ce qui reste assez rare dans l'ensemble des figures de Fasnet...
Les Laufnarren défilant en faisant tournoyer leurs cordes... |
Mais les figures emblématiques de Stockach ce sont ses Gerichtsnarren (Fous de la Justice) et leurs "assistants" les Laufnarren. La tradition a plus de 650 ans puisqu'elle remonte à 1351, où les archives mentionnent pour la première fois que les citoyens de la ville de Stockach aient reçu "le privilège de mener lors du Faßtnacht de dispenser la Justice des Fous". Et cette cérémonie spécifique à la ville s'est perpétué jusqu'à nos jours ou le Collège des Fous se rassemble toujours chaque année. Les Laufnarren sont chargés d'escorter les "accusés", raison pour laquelle leur attribut est une corde tressée...
A leurs côtés se promène un trublion en rouge et blanc affublé d'un bonnet de bouffon : C'est le Narrenbüttel. Bien que son nom implique qu'il soit un gardien de la paix, il n'en est évidemment qu'une parodie, une figure anti-autorité qui se moque des règles et des conventions. Son rôle dans le cortège est néanmoins de faire la place aux Juges du Narrensgericht, ce qu'il fait en dansant et en remuant son sceptre pour faire avancer les traînards et reculer les badauds pour que le parcours reste dégagé. Presque tous les groupes ont des "policiers" ou des "gardiens de la paix", ne portant généralement pas de masque mais reconnaissables au sceptre qui leur sert d'attribut, et qui son garants de la fluidité du défilé. Autant dire qu'une certaine responsabilité pèse sur eux, surtout qu'il n'est pas rare de voir certaines figures traîner un peu en jouant des tours au public ou en papotant dès qu'ils croisent des connaissances (Ce qui arrive souvent, vous vous en doutez... regardez les vidéos et remarquez chaque fois qu'on en voit courir pour rattraper leur groupe ^^). Évidemment, il font aussi des blagues, on ne se refait pas.
On notera également les charpentiers de Stockach chargés de s'occuper du Sapin de Fasnet (je vous avait parlé en vous montrant celui installé dans l'église de Bräunlingen). Alors ici ils ne font que parader mais dans leur ville ils montent bel et bien un sapin de 40 mètres (oui, oui) préparé pour l'occasion (dont ne subsiste en branchage que la couronne, comme celui mentionné ci-dessus), qu'ils font traverser en ville le jeudi gras avant de le monter en utilisant les techniques d'antan : avec de longues perches et (presque) pas de grue. Alors certes ils n'ont pas l'air en défilant, comme ça, mais ces mecs sont quand même badass.
L'autre élément important du cortège dont l'on n'a pas encore parlé c'est la musique. De nombreux orchestres accompagnent les figures en jouant (bien fort, rappelez-vous, faut faire du bruit) les grands classiques du Fasnet, dont les incontournables "Hans blib do" et "Hoorig Hoorig isch die Katz !". Un défilé sans fanfares ce serait comme du fromage sans pain, de la bière sans bulle, du Mämmi sans sucre et sans crème. Ce ne serait pas correct. Bon, je dois quand vous avouer que dans les vidéos de mes articles j'en ai coupé beaucoup, parce que je voulais vous faire découvrir les figures emblématiques du Fasnet, et que même en coupant à mort j'en avais pour près d'une heure de vidéo, donc je me suis dit que je vous en ferai écouter un peu de temps en temps, mais je m'excuse par avance pour les coupes drastiques à ce niveau là. (Et même s'ils ne me liront probablement pas, je m'excuse auprès de ces fanfares qui se donnent à fond durant ces événements... Désolé.). Pour vous donner une idée de l'importance de ces fanfares de carnaval, certaines villes n'envoient qu'elles dans ces défilés, plutôt que d'envoyer leurs figures, et d'autres n'ont pas de figures, mais une fanfare. Et malgré l'immense popularité des défilés de Fasnet, il est pratiquement impossible de trouver des CD de musiques de carnaval... alors qu'on croule sous les CD de Noël. Cela ne tient pas tant au désintérêt pour ces chansons que du fait que justement, les gens adorent les entendre et les chanter, mais dans un contexte bien particulier : Au bord de la route en acclamant des Narro et en regardant passer les fanfares.
Alt-Stockacherinnen. |
Stockach nous montre aussi des figures non masquées, car oui, il y en a. Parfois Gretel tient le bras de Hansel, et contrairement à lui, elle ne porte pas de masque. D'autres, c'est la figure qui est pensée à visage découvert, arborant souvent l'ancien costume traditionnel de sa ville - comme c'est le cas ici avec la figure de l'Alt-Stockacherin, l'habitante de la Stockach d'antan. On remarquera donc chez les femmes de nombreuses robes et coiffes traditionnelles du sud-ouest de l'Allemagne. En général, ce sont des figures qui distribue des bonbons et promènent souvent leurs poussettes. Vous l'avez peut-être déjà remarqué, le défilé n'est pas qu'une affaire d'adultes, beaucoup d'enfants - et même quelques bébés - y participent !
Dans le prochain article nous allons voir passer du beau monde, des superbes Hänsele danseurs de Schömberg au costume atypique aux Jokili d'Endingen en passant par les Démons de Rottendorf...
Un mot sur l’étymologie de Fasnet (ou Fastnacht on bon allemand d'aujourd'hui) Le concensus ne règne pas sur son origine, car si l'on a souvent tendance à penser qu'il s'agit simplement de Fasten (Jeûner) + Nacht (Nuit), ce qui semble logique vu qu'il s'agit du carnaval et qu'après cette fête les chrétiens entament leur période de jeûne, l’orthographe ancienne est plus trouble. En 1351, dans les archives de Stockack dont je vous parlais plus haut, on lit notamment Faßtnacht, mais on retrouve également Vasnacht ou Vasenacht (jusqu'au 17ème siècle on retrouve indifféremment les deux orthographes F / V). Ce qui nous amène en fait au mot faseln, qui aujourd'hui veut dire raconter des bêtises, mais qui à l'origine signifie prendre les gens pour des cons, faire des farces, etc., proche de l'esprit de notre "poisson d'avril". A partir de ce mot on trouve également au moyen-âge et dans le Haut-Allemand on trouve également Vaselrind, ou Vaselschwein, pour des bêtes destinées à la reproduction, le mot Vaselen désignant quant à lui le bourgeon, et une analyse linguistique comparative de toutes les variantes de Vasnet permet donc de s'orienter vers une racine en Ancien Haut Allemand, plus en rapport avec la fertilité et la vie - ce qui encourage les partisans des racines pré-chrétiennes. Néanmoins, aujourd'hui presque tout le monde part du principe qu'il s'agit de la Nuit du Jeûne. Ce qui est curieux, puisque que marquer son calendrier en "nuits" plutôt qu'en "jours" est une particularité justement plutôt pré-chrétienne, l’Église nommant généralement ses fêtes "Jours de..." puisque son calendrier, contrairement à ses prédécesseurs, est solaire et non lunaire...
Mais où diable vas-tu chercher toute cette science ? ^^
RépondreSupprimerPassionnant :)
PS : j'aime bien l'image du "Mämmi sans sucre et sans crème" :D
Où diable je la cherche ? La réponse est dans la question ^^
SupprimerPlus sérieusement, pour éviter de dire trop de bêtises je me suis essentiellement basé sur un livre de Heinz Wintermantel "Hoorig, hoorig isch die Katz" qui traite des figures essentielles du carnaval souabe-alémanique, avec une synthétique introduction sur l'histoire de la fête de de ces figures... enfin, telle qu'on la concevait avant le changement des années 80 qui, comme je l'expliquais, a vue l’apparition d'une génération qui veut presque "oublier" les racines païennes autant que faire ce peut... J'ai également cherché et fouiné sur tous les sites des différents Narrenzunft pour avoir l’explication donnée par les groupes eux-mêmes de ce qu'ils interprètent car derrière le blabla académique des chercheurs, il était important à mes yeux d'expliquer ces figures à la lumière de ceux qui les vivent chaque année et font vivre cette tradition.
Beaucoup de recherches pour ne pas trop m'égarer, beaucoup de boulot, mais je suis content du résultat jusque là :-) Merci du compliment, en tout cas.
Hihi, oui, pour le Mämmi je m'adapte culturellement !