samedi 21 mars 2015

Le road-trip français : la Petite France et le Strasbourg médiéval

Comme je reste du côté de Colmar quand je suis en visite en France, commencer à voir mes amis durant l'été 2014 à partir de Strasbourg s'imposait comme une évidence. Après tout c'est pas parce qu'on fait un pote-athon qu'on doit négliger ceux qu'on voit "le plus souvent" (ce qui veut dire une à deux fois par an en l’occurrence, hein, c'est pas la panacée non plus). C'est donc par une belle journée ensoleillée que j'ai rendu visite à Nicolas et Nicolas. Hum, dis comme ça, ça sonne un peu comme Dupond et Dupont... Ne leur dites rien surtout.

Le Palais Universitaire, où j'ai essayé d'apprendre l'Histoire.
Comme il faisait un temps radieux, je leur faisais part de ma volonté d'en profiter pour faire du tourisme avec ce nouvel œil frais et presque étranger. Et comme j'avais déjà fais mon tour de la cathédrale, j'ai décidé de passer la vitesse supérieure, de me mettre à l'épreuve face au défi ultime : Regarder en touriste un quartier où j'ai habité. C'est à dire un lieu où j'ai fais mes courses, l'aller-retour journalier vers la Fac, où je me suis promené en amoureux, engueulé en amoureux, rentré tard et crevé - voire un peu alcoolisé mais chut - où j'ai même traîné mon sapin de Noël emballé dans son filet depuis la place Kléber (tout seul parce que ma copine de l'époque m'avait dit "si tu veux un sapin, pas de souci, mais tu te démerdes")(Et je me suis démerdé like a boss, les touristes m'ont même pris en photo pendant que la guide, ravie, leur expliquait comment les vieilles traditions survivaient en Alsace, la preuve regardez ce jeune-homme va chercher son sapin au marché de Noël c’est fantastique woop woop)

Bref, je suis retourné visiter la Petite France.

Alors déjà ce nom de Petite France peut paraître saugrenu. Il y a à Strasbourg un "Quartier Allemand", qu'on appelle ainsi non pas parce qu'on y trouvait une concentration de population allemande, mais parce qu'il concentre tous les chefs-d’œuvre architecturaux construits par le Kaiserreich (y compris le Palais Universitaire de mon ancienne fac, ex-Marc Bloch claque tes fesses !), et donc quand on regarde ces bâtiments bien germaniques et bien gris avec colonnades, frontons... ben on comprend pourquoi on l'appelle "quartier allemand". Du coup, si je vous dis "Petite France", vous vous imaginez peut-être un petit quartier coquet avec un petit côté Haussmannien qui fait très France clicheton.

Bah non.
Tu la sens bien, là, l'Alsace de l'oncle Hansi ? La maison au bout des quais avec les rangées de géranium aux fenêtres est la célèbre Maison des Tanneurs, monument historique depuis 1927, témoin du passé de tannerie du quartier.
A gauche : le Restaurant du Pont Saint Martin, débordant de géraniums.
La Petite France c'est le quartier de Strasbourg qui fait le plus alsacien. C'est l'Ecomusée avec des vrais habitants, c'est la carte postale régionale typique faite brique (ou plutôt faite torchis). Colombages, étages élargis, rues pavées étroites, enseignes en Alsacien et/ou à base de "choucroute / Bretzel / Baeckahoffa". Il y a même un petit pont tournant bien pittoresque pour vous replonger dans l'ancien temps qu'il était mieux avant. Une carte postale je vous dis. Sauf que pendant un an, ce paradis des touristes c'était chez-moi. J'ai habité un an rue des moulins, sous les combles qui savent si bien capturer l'air torride de l'été alsacien, ce qui n'était pas grave puisqu'on pouvait ouvrir les fenêtres et profiter de la vue sur le pont pavé et la terrasse bruyante prisée du restaurant traditionnel en bas de chez nous. Oui donc pour être clair, le raclement des tables en fonte sur les pavés, à la fermeture tard le soir, quand tu te lèves tôt le lendemain... pas cool. Pour le reste ? C'est un quartier génial.

Parcouru par différents canaux, parsemé de ponts, d'écluses, de digues, de quais... C'est un coin à voir absolument si vous êtes à Strasbourg par beau temps. Venez vous y promener sans le trafic, sans le "ding" agaçant du tram, au bord de l'eau... Et si vous y venez en hiver, vous y trouverez le marché de Noël le plus traditionnel de Strasbourg (oui, oui, pas le truc en face de la cathédrale). Bon, je ne vous le cache pas, ça risque d'être blindé de monde, tout dépendant de l'arrivage des trains/cars de touristes.

Nicolas & Nicolas acceptant de se prêter au jeu de la photo souvenir sur l'une des écluses de L'Ill. Même si celle-ci semble très étroite (et rustique, c'est le moins qu"on puisse dire), elle permet néanmoins la navigation des péniches bateaux mouches à touristes (j'entends, les bateaux sont à touristes, pas les mouches) (qu'on ne me fasse pas sous-entendre des choses). Ça passe, certes, mais au millimètre.
Combo colombages + géraniums. Il ne manque que les cigognes. Tout à droite on remarque un bout d'une ancienne église reconvertie en théâtre : C'est le Théâtre Jeune Public, dans l'ancienne église Saint-Martin. Donc certes c'est un quartier très orienté tourisme, mais y a de la vie et de la culture, c'est pas non plus Santorin ! On remarque vaguement l'un des bateaux mouche dans l'écluse.
Et puis ce quartier est magnifique, faut que j'insiste. Les géraniums dont les paysagistes alsaciens ne peuvent se passer débordent de n'importe où où on peut planter des géraniums. Ensuite il y a le style alsacien lui-même, très médiéval avec ses colombages de style germanique et ses étages élargis. D'ailleurs pour ceux qui se demandent pourquoi les maisons s’élargissent à chaque étage, la réponse n'est pas vraiment artistique mais plus prosaïquement financière.

Oui, je sais, c'est un peu décevant.

A l'époque médiévale, la "taxe d'habitation" était calculée par rapport à la surface au sol de la base de la construction, le rez-de-chaussée. Du coup, en s'étalant un peu plus à chaque étage, on grattait un peu de place gratos. Problème : Cela rapprochait dangereusement les maisons les unes des autres, ce qui non seulement assombrissaient les rues (imaginez les problèmes d'hygiène à une époque où les toilettes c'est tout par la fenêtre dans la rue, cumulés aux problèmes habituels des ruelles sombres...), mais favorisait également la propagation des incendies.
Mais hei ! Fraude fiscale semi-légale ! Pourquoi se priver !
Mais du coup vous vous demandez "pourquoi diantre ce charmant quartier des plus bucoliques est-il appelé Petite France si ça n'a rien à voir avec l'architecture ?". La réponse tient en un mot :

Syphilis !

Oui, je sais, c'est pas la première chose qui vous serait venue à l'esprit. Moi non plus.
En fait le quartier tient son nom d'un hôpital traitant les soldats qui revenaient de la guerre en Italie infectés par cette MST, la syphilis, autrement connue en allemand sous le doux surnom de Franzosenkrankheit, le "mal français" (Cocorico !). Pourtant y avait d'autres trucs sympas hein ! Aujourd'hui c'est restaurants et boulangeries à gogo, mais dans le temps c'était le quartier des abattoirs et surtout des tanneurs. On y trouve également les ponts couverts et leurs quatre tours fortifiées, il y a une digue imposante... mais non, c'est l'hospice des vérolés et ses malades de la Syphilis qui baptisent le quartier. Youhou !

Les tours fortifiées des ponts couverts. (Archives 2011)
Les ponts couverts sont un bel endroit pour se promener en été, et la ville y organise souvent des animations sons et lumières pour diverses occasions. On peut facilement remplir les ponts et projeter des images sur les façades du tout proche barrage Vauban depuis les tours, c’est pratique. On y rejoins facilement les quais de chaque côté, puisque le Petite France se situe au bord de la Grande Île (le centre-ville historique de Strasbourg est construit sur une île au milieu de L'Ill) (L'Ill c'est une rivière, je sais, ça jette la confusion).

En dehors des ponts couverts, l'autre pont connu est le Pont Saint Martin, qui donne également à un restaurant de très bonne facture et des plus jolis ! Il y a aussi le pont tournant, trop bas pour laisser passer les péniches et qui, plutôt que de se redresser, pivote donc pour ouvrir la voie. C'est un attraction appréciée par les touristes... moins par les habitants quand ils reviennent les bras chargés de courses et doivent attendre que le bateau-mouche à touristes soit passé pour se débarrasser enfin de ses kilos à bouts de bras (enfin, après s'être tapé les escaliers jusqu'aux combles... oui, c’est l'expérience qui grogne, là, tout à fait).

Une vue de l'un des nombreux canaux depuis l'un des nombreux ponts. Ici, le fameux "pont tournant", de son vrai nom Pont du Faisan. Mais tout le monde l'appelle le pont tournant parce que... ben, il tourne.
Vue depuis le quai d'en face : le pont tournant et, une fois de plus, la Maison des Tanneurs...
"Au pont St Martin", on aime les plantes. On les aime beaucoup.
 C'est un très bel endroit, très agréable à vivre, notamment parce qu'il est calme en plus d'être beau. En longeant les quais je me rendais à ma fac à pied en une petite demi-heure, et c'était très agréable de grand matin de longer les façades à colombages et les docks auxquelles quelques péniches s'accrochent encore (souvent transformées en restaurants). Avec les deux Nicolas on s'est justement promené aux alentours, passant par le centre-ville tout proche, profitant du beau temps. Sans même s'en rendre compte on peut déjà se trouver face aux anciennes douanes de Strasbourg

Le bâtiment s'étale le long des quais, offrant aujourd'hui une agréable terrasse aux visiteurs venus se rafraîchir aux bords de l'Ill. Bon, il faut noter que ceci est une reconstruction d'après les plans d'origine, puisque la Libération n'en a pas laissé grand chose.
Construites en 1358, les anciennes douanes sont le fruit du pouvoir corporatiste médiéval (comme quoi on n'a rien inventé) et fut pendant des siècles le point de passage obligé du commerce strasbourgeois, où les denrées étaient taxées et contrôlées à l'entrée de la vieille ville (je rappelle qu'on se trouve là-aussi sur les bords de la Grande Île), ainsi que stockées, d'où la taille de l'édifice. On y frappait également la monnaie. Maintenant on la soutire aux touristes et à la haute, puisque les terrasses qu'on voit sur la photo ci-dessus sont celles du restaurant traditionnel huppé et hors de prix "l'Ancienne Douane".

Je tire celle-ci de mes archives de 2011 puisqu'elle a le double avantage de montrer l'extrémité du bâtiment, mais également puisqu'on y voit une affiche pour le musée historique de Strasbourg, de l'autre côté de la rue. En l’occurrence pour une exposition appelée "Strasbourg fait l'Histoire" et où l'on y voit le tableau d'Isidore Pils "Rouget de Lisle chantant la Marseillaise". Façon très subtile de rappeler que l'hymne national français fut écris à Strasbourg, et que derrière son surnom de Marseillaise il y a le Chant de Guerre pour l'Armée du Rhin.
En face se trouve le musée historique, au pied duquel les touristes embarquent dans les péniches aux noms pittoresques pour faire le tour des canaux de Strasbourg. Le musée en lui-même retraçant l'Histoire agitée et souvent sanglante de la ville (et par extension de la région), on ne sera pas surpris qu'il soit abrité depuis 1920 par un bâtiment lui-même historiques : l'ancienne Grande boucherie. Haha, ils avaient de l'humour, juste après la Grande Guerre !

Le musée historique dans l'ancienne Grande Boucherie, avec naturellement la cathédrale Notre Dame de Strasbourg qui fait coucou au-dessus des toits.
En remontant la rue dans le prolongement du Pont du corbeau sur lequel je me tenais pour prendre ces photos, on passe à côté d'une petite place sympathique qui fait partie intégrante de ce cœur historique très classe : la place des Tripiers. Bon, d'accord, dit comme ça c'est forcément très glamour, mais c'est un endroit très ombragé puisqu'encaissé entre de hautes habitations et où il y a également des arbres... idéal pour se poser en été quand il fait chaud (et il peut faire très chaud à Stras). Et la vue de sa partie ouverte est également des plus agréables.



Enfin au bout de la rue nous arrivons place Gutenberg, avec son carrousel rempli d'enfants et sa statue de Johannes Gutenberg (de son vrai nom Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg. Je sais, on dirait un patronyme potache des Monty Python, mais il n'en est rien), l'inventeur des caractères d'imprimerie mobile, et donc de l'imprimerie moderne. Il a vécu à Strasbourg pendant dix ans et y appris l'orfèvrerie, maîtrisant alors les techniques qui lui permettront de développer son invention, qu'il peaufinera de retour dans sa Mayence natale. C'est donc assez naturellement qu'on trouve sa statue à Strasbourg, d'autant que son invention a permis l'épanouissement sensationnel des Lumières dans tout le Saint Empire, particulièrement en Alsace (et puis après... le moooonde !). Les incunables (ces ouvrages imprimés par des presses à caractères mobiles) et plus généralement l'imprimerie moderne sont si importants dans l'histoire du développement humain qu'on les considèrent comme des révolutions égales à l'invention de l'écriture ou de la roue. Et d'Internet, depuis.

Gutenberg, par David d'Angers. L'inventeur allemand tient un papier où il est écrit (en français... c'est là qu'on sent que la statue fut érigée en 1840) "Et la lumière fut", en référence aux premier incunable : la Bible.
Malheureusement, après notre longue ballade il a fallu que je me redirige doucement vers la gare, en descendant la Grand Rue où j'ai également résidé durant ma première années sur Strasbourg (avant de déménager dans la Petite France juste à côté, d'ailleurs). C'est une longue rue marchande assez étroite et pavé, qui fut longtemps réputée pour être la rue des prostituées. Et du coup, comme elle nous ramène l'air de rien jusqu'au quartier de la Syphilis, la boucle est bouclée... enfin je veux dire, le cercle de notre visite, n'est-ce pas. N'allez pas croire quoi que ce soit.

Ce fut un plaisir de revoir mes amis, et toujours un moment délicat sur les quais quand après des heures qui filent comme des minutes il faut arrêter de papoter et se dire au-revoir... pour une nouvelle durée indéterminée. C'est un pincement au cœur qui ne s'atténue pas avec le temps. Pourtant cette fois-là je savais qu'après cette étape strasbourgeoise incontournable, un périple plus long m'attendais, et que l'occasion viendrait pour moi de revoir bien d'autres visages familiers. Pour une fois, donc, cette tristesse se mêlait à l'excitation. Ce n'était qu'un prélude.

Le pavé de Grand Rue s'étale devant moi. Le périple ne fait que commencer...
PS : Merci Nicolas & Nicolas :-)

jeudi 19 mars 2015

Le road-trip français : la cathédrale de Strasbourg

L'église Saint-Paul, le tram, l'Ill et ses péniches... les quais strasbourgeois.
L'été dernier (2014, pour ceux qui liront cet article par hasard dans trois ans) j'ai profité d'être en France pour une durée un peu plus longue que d'habitude pour rendre visite à mes amis qui ont le bon goût d'être dispersés d'Est en Ouest pour me rendre la tâche plus ardue. Je me suis préparé un petit plan de route idéal pour voir un maximum de monde en un minimum de détour, et comme mon expérience de covoiturage en Islande s'était très bien passée, je suivais les conseils d'un de mes potes et m'inscrivais sur un site français de covoiturage. Et là, alors que les tarifs SNCF m'avaient un peu refroidis (à moins de réserver 9 mois à l'avance sans possibilité de changement, le tout en classe éco-trucmuche avec la Carte 12-17½ mais seulement en période gris foncé hors jours fériés, j'ai redécouvert qu'on pouvait voyager pas (trop) cher à condition d'être malin et organisé. Même en France. 

Après j'aurais pu opter pour le "tout auto-stop" mais après l'Islande je me suis dis que j'allais me préparer un peu mieux que ça, quand même. Et Une expérience bretonne me confirmera que j'ai bien fait, mais nous y reviendrons. 

L'étape de départ la plus logique fut évidemment de rendre visite à mes amis strasbourgeois. Oui alors je sais ce qu'on va me dire "Super, le road-trip, tu nous parles de la ville où t'as vécu pendant quoi, cinq ans ? WOW! Exotique !". Oui sauf que Strasbourg à part quelques photos en vrac j'en ai pas encore parlé, et j'en ai peu montré, donc voilà, je commence à réparer ce faux-pas. Le truc c'est que je passe "souvent" sur Strasbourg quand je rends visite à ma famille en Alsace, mais j'en parle jamais. C'est finalement assez dur de regarder le monde qu'on connaît bien, sa petite bulle, son quotidien dans sa banalité ordinaire, avec l’œil neuf et frais du visiteur. Certes j'ai toujours trouvé les quais jolis, la cathédrale superbe, ce genre de chose, mais il ne m'est pas évident de les regarder sans le vernis que mon quotidien dans la ville a passé sur ce décor pourtant magnifique. Mais je m'y efforce, et tant mieux, d'ailleurs. J'aime ce sentiment de redécouvrir des allées que j'ai pourtant déjà arpenté des centaines de fois, battre le pavé de la vieille ville en m'émerveillant d'une façade, d'une sculpture... bref, revoir la beauté ordinaire de la ville. Parce qu'on a beau le savoir, on finit par ne plus vraiment le voir. On passe devant sans lever les yeux, sans même y penser. Et ça c'est dommage. J'essaye donc de m'atteler à regarder mon quotidien de cet œil neuf, à réapprendre à trouver ce qui m'émerveille dans la découverte de lieux inconnus. C'est pas évident du tout, et ça a nécessité un véritable effort, surtout avec des endroits vus et revus au point d'en être devenus presque invisibles.

Prenons un exemple concret, tout simple, comme ça, au hasard : 

La cathédrale Notre Dame de Strasbourg. 

Un frontispice massif qui pète la classe et t'écrase par sa profusion de détails. Et ses 142 mètres.

Vue de face, avec un peu de colombages autour pour faire "Bienvenue en Alsace".
J'avais moi-même tendance à oublier à quel point cette cathédrale est magnifique, à force de passer devant pour prendre les raccourcis vers le centre-ville ou me presser pour aller en cours... Pourtant elle est non seulement superbe, mais aussi énorme. Dire qu'elle était devenue "invisible" n'est qu'une façon de parler car il est en réalité très difficile de ne pas la voir. Par beau temps, on peut l'apercevoir depuis la Forêt Noire et depuis les montagnes vosgiennes à l'autre bout de la plaine d'Alsace. Avec ses 142 mètres c'est la seconde plus haute cathédrale de France, mais sa particularité la plus ostensible reste sa flèche unique, qui fera écrire à Arthur Conan Doyle (via son personnage de Sherlock Holmes) que c'est la plus moche cathédrale qui soit. Il va sans dire que je proteste, elle est juste... différente. Hum. Même Victor Hugo est de mon avis apparemment puisqu'il aurait dit d'elle qu'elle était un "prodige du gigantesque et du délicat". 

En plus du côté goûts et couleurs, c'est très injuste car il faut savoir que cette flèche gothique est un véritable défi architectural. Elle fut un exploit technique au Moyen-Âge où elle en fit longtemps la plus haute cathédrale européenne, et c'est toujours la plus haute flèche encore debout à ce jour, plus de 570 ans après l'achèvement de sa construction ! Je vous invite à lire ce passage de la page Wikipedia concernant la flèche, où l'on peut voir comment les constructions équivalentes ont fini à travers l'Europe : A Beauvais on tente 153 mètres : elle s'écroule sous son propre poids. En Angleterre, deux challengers se font démonter par la foudre et le vent, pareil en Allemagne et en Estonie : PAF la foudre. Nous sommes en 2015 et la flèche de Strasbourg tient toujours, BITCHES. Elle se porte d'ailleurs très bien puisque c'est la seconde cathédrale la plus visitée de France (après Notre Dame de Paris, évidemment, hein). A cause de Disney beaucoup croient qu'à Paris les deux tours de Notre Dame crèvent les nuages, alors que sa hauteur maximale est de 69 mètres. Si vous avez déjà vue Notre Dame de Paris dites vous que la différence avec Stras est de 73 mètres, plus du double ! Si j'insiste c'est que quand on se trouve en face de la cathédrale de Strasbourg, on ne s'en rend pas forcément compte, ni même quand on la voit dépasser au-dessus des toits de la ville. Il faut vraiment la voir à quelques kilomètres de distance pour seulement commencer à se rendre compte de l'immensité du truc. Quand on se tient devant on se dit juste "Wow, c'est grand."

Non, les mecs. C'est très, très grand. 

Le portail principal et son tympan minutieusement sculpté sur le thème de la vie de Jésus.
Surtout quand on pense qu'elle fut construite sous le Saint Empire Romain Germanique, on avait pas encore Liebherr pour faire le gros œuvre. Et oui, c'est une façon de rappeler que c'est un souvenir bien visible de l'Alsace allemande. Tralala.

Pour donner une idée de l'aspect monumental de cette œuvre d'art, la flèche fut terminée en 1439, faisant de la cathédrale la construction la seconde plus haute du monde (tenant debout, donc hihi) jusqu'en 1874 où elle fut battue par l'église Saint Nicolas de Hambourg. Ce qui veut dire que pendant plus de trois siècles le seul monument plus haut que Notre Dame de Strasbourg sans se péter la gueule était la pyramide de Khéops. Voilà. Quand vous regardez ce monument de l'architecture germanique, pensez-y, ça fais tout drôle tout d'un coup.

Et puis c'est pas comme si on parlait d'une colonne de pierre lisse, non. La cathédrale dégueule de détails, de sculptures, sur sa façade, sa flèches, PARTOUT. On peut passer des heures à en faire le tour et continuer à découvrir des choses, essayer de comprendre les centaines de références médiévales qui s'amoncellent sur ces pierres. Le style de l'ensemble est principalement gothique, pour une durée de construction de presque trois siècles (1176-1439). Mais l'extérieur n'est pas tout ce qui fait l'intérêt de ce monument, non, sa richesse est également intérieure. Si vous entrez par l'une des lourdes portes latérales ou si vous remontez le dallage polis de la nef puis prenez à droite face au chœur, vous aurez la possibilité d'admirer une magnifique horloge astronomique du XVIème siècle (qui en remplace une précédente datant du XIVème, soit avant que la flèche ne soit terminée...).

Oui, je sais, c'est flou, mais hein, pas de flash !
L'horloge est une merveille de mécanique dont on peut encore observer les automates dans leur routine perpétuelle dictée par le temps. Si d'aventure vous visitez Strasbourg, vous pourrez les voir s'affairer à marquer les quarts d'heures, les heures, et midi. Vous verrez c'est très joyeux, puisque chaque quart d'heure un personnage défile devant la Mort : Un enfant, un adolescent, un adulte, et enfin un vieil homme. Memento Mori, les gars, et bonne journée ! A midi les douze apôtres défilent devant le Christ, mais je ne tirerais aucun parallèle entre ces deux processions. Cela dit il est fascinant de voir que cette merveille mécanique est également un calendrier qui vous donne aussi la météo et l'horoscope, avec position des planètes et du zodiaque. C'est comme une application de smartphone pour votre cathédrale : Un gadget, certes, mais c'est cool.

Autre intérêt intérieur de la cathédrale : le Grand Orgue. 

Il faut savoir qu'il y a quatre orgues dans la cathédrales, mais si vous vous y rendez, il y a de fortes chances pour que vous repériez assez rapidement le Grand Orgue. Déjà parce qu'il est richement orné et coloré, mais aussi parce qu'il n'est pas caché au fond dans l'ombre, comme trop souvent, mais bien en évidence sur un mur latéral, en nid d'hirondelle. Il est donc très voyant, en plein milieu de la nef, un peu trop peut-être... Son histoire est compliquée, il est passé par une restauration un peu foireuse qui a ruiné la carrière de l'artisan responsable, avant d'être donc "corrigé" dans un style plus "français". Bon. Qu'est-ce qu'on entend par un style plus français exactement ? Qu'on ne se méprenne pas, j'aime bien le petit côté fête foraine du combo bleu-rouge-or et des fioritures hein...

On remarquera en bas de la déco Samson chevauchant le lion qu'il a vaincu (à mains nues, cela va de soi) sur le chemin de son mariage avec une philistine  - au grand dam de ses parents qui auraient préféré une fille bien de chez eux, mais que voulez-vous - et dans le cadavre duquel (cadavre du lion, donc, pas de Samson) des abeilles ont fait du miel. Inspiré par ce détail rigolo (ahem) il en fait une charade pour les invités de son mariage, mais comme sa femme leur file la réponse, Samson tue trente personnes dans sa colère et retourne vivre chez ses parents. Voilà.  J'espère ne pas avoir gâché la classe de ce personnage chevauchant un lion, évidemment.
Après, évidemment il y a des tonnes de détails architecturaux et décoratifs à observer, et je ne vais pas pouvoir être exhaustif... Mais je vais essayer d'en montrer un peu malgré le flou pas très artistique dû au manque d'expérience de flash... Les photos d'intérieur de la cathédrale datent de 2011, alors qu'Ada me rendait visite pour la première fois, et justement faire ces visites avec elle m'a mis dans cet état d'esprit de touriste, me permettant de voir Strasbourg d'un œil neuf, ou du moins plus curieux.

Vitraux splendides et voûtes en conséquences.
Un des nombreux vitraux... le travail est remarquable et quand le soleil darde sa lumière directement à travers ces fresques de verre c'est un régal pour les yeux de voir ces couleurs danser sur les colonnes et le dallage.
La rosace de la cathédrale, avec au premier plan, dans l'ombre, le Grand Orgue. On voit un peu mieux (autant que la lumière le permet) qu'il s'agit de Samson sur un lion !
Je mentionnais que dans une nouvelle, Sherlock Holmes trouvait cette cathédrale des plus laides à cause de son asymétrie. C'est assez ironique puisque que la scène d'introduction de "Sherlock Holmes 2 : Jeu d'Ombres" fut tournée sur le parvis de cette même cathédrale !


Oui il y a eu un petit changement météorologique entre la photo précédente et celle-ci, prises le même jour à quelques dizaines de minutes d'intervalle pourtant... c'est aussi ça, l'été alsacien, hum... A quelques mètres sur la gauche se trouve l'entrée menant directement à l'horloge astronomique.
Détail des arches extérieures, avec ses sculptures de saints et ses gargouilles.
Pour l'anecdote folklorique qui va bien, je me dois de mentionner la légende selon laquelle la cathédrale est construite sur un lac souterrain - hanté, cela va de soi. Il y aurait bien eu une entrée depuis la cave d'une des maisons du parvis, mais après qu'une expédition d'hommes bien virils armés de torches soit remontée des passages obscures et humides en hurlant comme des fillettes, ce passage aurait été bouché, muré, et oublié. On entendrait cependant encore les rames d'une barque sans passeur dans le sous-sol quand le vent violent qui s'engouffre autour du monument daigne bien se calmer... Bon dans les faits, le site de construction des diverses églises successives à cet endroit a été choisi parce que c’est là que les premiers chrétiens allaient prier, accessoirement c'était un ancien site romain dédié au dieu Mars. Mais qui sait quelles choses innommables peuvent bien se cacher dans les eaux impies de ce lac souterrain secret...

Maîtres du Jeu de l'Appel de Cthulhu en mal d'idées, inutile de me remercier, je vous en prie, c'est cadeau.

Et donc tout ça pour introduire ma ballade dans Strasbourg, parce que certes on dirait que j'ai digressé prodigieusement, mais il n'en est rien. Cet été j'ai fait une assez longue promenade en ville avec cet état d'esprit "et si je n'avais jamais vu Strasbourg depuis si longtemps", et j'avais principalement en tête trois lieux que j'apprécie énormément : la cathédrale (ça, c'est fait), le Parlement Européen et la Petite France. Bon, le Parlement Européen j'y ai pas remis les pieds depuis que j'ai déménagé... en revanche, la Petite France a fait l'objet d'une ballade entre amis, ma première de ce road-trip français.

Sauf que cette introduction est tellement longue que je vais garder ça pour la suite, hihi.

lundi 16 mars 2015

Hallgrímskirkja et le voisinage païen

Leif Eriksson posant devant Hallgrímskirkja
Dans l'un de mes premiers articles sur l'Islande, je vous parlais de mes difficultés initiales avec la langue islandaise et j'en avais profité pour vous montrer l'église luthérienne emblématique de Reykjavik : Hallgrímskirkja. Mais seulement de l'extérieur et relativement hors contexte. Aujourd'hui, j'y reviens et je vais non seulement vous faire entrer dans l'église, mais on va également se promener dans son quartier, lui-même assez particulier puisque ses rues, bien qu'encerclant cet énorme monument chrétien, portent des noms de... Dieux nordiques. On l'appelle même le "voisinage païen" !

En fait, si je veux faire les choses bien et commencer par le commencement, je devrais parler du voisinage païen en premier lieu, vu que la rue d'Odin existe depuis 1906. Jusqu'en 1929, les rues aux noms tirés du panthéon nordique se sont multipliées dans ce quartier de la ville (je précise car des noms de ce genre sont assez commun un peu partout, mais pas avec une telle concentration), puis de noms de héros de sagas islandaises. L'église, elle, fut mise en chantier en 1945 et achevée en 1986. Le choix du site n'est pas anodin : le voisinage païen est est une butte, au sommet de laquelle l'église domine désormais très largement la ville. Elle ne mesure que 75 mètres de haut et pourtant la hauteur du site lui donne une visibilité incomparable dans toute la ville. Quand on regarde Reykjavík de loin, on ne voit qu'elle, et où qu'on soit dans la banlieue ou au périphérique de la capitale, on peut la voir.Entre ça et son design unique censé évoquer les colonnes basaltiques typique de la nature volcanique de l'île, on sent la volonté d'en faire une icône instantanée, et ça a marché. En fait Hallgrímskirkja à Reykjavík, c'est un peu la Tour Eiffel de Paris, le Dôme d'Helsinki, la Statue de la Liberté de Colmar !

(Désolé, j'ai pas pu m'en empêcher) 

(Pour ceux qui ne comprennent pas, faudra que je vous en parle à l'occasion) (C'est très drôle)
 
Voilà, hein, c'est fait pour être vu de loin, et ça se voit de loin.
Pour bien se rendre compte de l'ampleur de ce "voisinage païen", il faut bien réaliser que ce sont pas moins de treize Dieux qui donnent leur nom aux rues d'un seul quartier, sans compter les nombreux personnages de sagas et autres références mythologiques (comme la Norne Urdr). Les rues ne sont pas non plus complètement nommées au hasard, puisque les relations et interactions entre les Dieux sont plus ou moins représentées par les intersections, etc. Pourtant, c'est bel et bien un temple chrétien qui s'élève désormais au sommet de cette colline. Et quel temple ! 

Il faut bien avouer que si son nom est pratiquement imprononçable pour le touriste admiratif (ce nom vient d'un pasteur, Hallgrímur Pétursson, qui s'avère être également un des grands hommes de la poésie islandaise.), l'église pète la classe, que ce soit de l'extérieur, avec sa façade atypique, ou de l'intérieur. Notamment parce qu'à l'intérieur se trouve un orgue de 15 mètres pour 25 tonnes, made in Germany en 1992. L'engin est tout simplement superbe et ayant eu la chance de l'entendre jouer, je dois dire que le son n'a pas déçu.

L'orgue fabriqué à Bonn.
J'ai beaucoup apprécié la simplicité de l'architecture et de la décoration. Le blanc éclatant souligné par un peu de boiserie... et c'est pratiquement tout. Très épuré, très simple. Je ne suis généralement pas fan des églises en béton, parce qu'en général ça ressemble au mieux à des usines transformées ou au pire à des Saints Bunkers (cas de figure malheureusement très fréquent à Espoo...). Pas vraiment le top du top quand on prétend au titre de "maison de Dieu". Son abri antiatomique, éventuellement, mais en a-t-il vraiment l'utilité ? De même, les églises vides et blanches me paraissent souvent stériles et froides... ce n'est pas le cas ici, peut-être grâce au brun doux du bois et la bonne luminosité naturelle. Là, il y a de l'élégance, de la classe, on sent que c'est du goût et pas de la fainéantise ou du manque d'argent d'idée, et j'aime ça.

Pour vous donner une idée, voilà la nef :
L'abside vue de l'autre bout de la nef, avec une belle vue de la voûte en ogives. On voit que la chaire n'est pas tape-à-l’œil non plus.
L'orgue au fond de la nef.

De l'extérieur, l'abside a l'air un peu plus originale que de l'intérieur, avec sa forme de cloche qui surprend un peu dans son association avec ces formes de barres évoquant les orgues basaltiques...
On remarque que l'église est très longue et mince... la forme atypique de la façade tend à lui donner une allure plus large qu'elle ne l'est réellement
Sur le parvis de cette église se dresse la statue de Leif Eriksson, navigateur islandais qui a continué à "voyager vers l'ouest" comme son père Erik le Rouge (qui a moins "voyagé" qu'été exilé pour meurtre), et a poursuivi la colonisation viking en redescendant du Groenland vers Terre-Neuve, une terre qu'il nomma Vinland (parce qu'on y aurait trouvé de la vigne). Et ce vers l'an 1000, soit environ 500 ans avant que Christophe Colomb ne "découvre" les Caraïbes. Longtemps Vinland fut considéré comme un mythe, une légende de saga à ne pas prendre au sérieux. Puis il y a eu l'épisode d'une fausse carte qui a conforté l'idée que c'était donc une légende, et puis il y a eu l'archéologie. Voilà, on sait donc que les vikings sont allé jusqu'au Canada d'aujourd'hui. La statue de ce navigateur fut offerte par l'ambassade américaine pour les millénaire de l'Althing, le parlement islandais dont je vous parlais il y a peu. On remarque qu'il tient une croix, et c'est normal : Non seulement il s'est converti au christianisme vers 999, mais il était également très prosélyte, convertissant sa mère, prêchant le Christ au Groenland et probablement au Vinland s'il en a eu l'occasion. Son père Erik, deux fois exilé pour ses penchants sanglants, était bizarrement un peu plus réticent (ou bien il était juste anticlérical, ça jetterait un éclairage nouveau sur son surnom d'Erik le Rouge, padam tschii !!)

Cette statue d'un viking converti se tenant fièrement devant la plus grande église d'Islande, en plein milieu d'un quartier aux noms de rue tirés de la mythologie nordique est une image singulière. Pourtant elle résume assez bien l'Histoire et la mentalité du pays, surtout à l'heure où un temple païen aux Dieux anciens va être enfin construit à seulement quelques kilomètres de là.

En face de l'église, notons que dans la Rue de Loki se trouve le Café Loki, un lieu de restauration convivial qui sert des spécialités islandaises aux touristes (ne nous y trompons pas, c'est clairement un piège à touristes).

Je dois dire qu'avoir un café nommé d'après le Dieu de la tromperie, du mensonge et de la fausseté en face d'une église, c'est croustillant. Surtout quand on se rend compte que le L majuscule de Loki sur leur logo est inspiré... du design de l'église en question. A bon entendeur !



Tiens, puisqu'on se trouve dans le voisinage païen, j'ai une idée. Vous allez voir, on va s'amuser.


Oh, pour info, la statue qui se trouve derrière moi n'est pas dans le même coin, mais pas très loin de Harpa. Elle s'appelle Sólfar, Voyageur du soleil. D'après l'artiste Jón Gunnar, ce navire solaire représente la lumière et l'espoir, c'est une embarcation onirique qui évoque la promesse de nouveaux territoires inexplorés, de liberté, de progrès... mais n'est pas à proprement parler un "drakkar" (ce mot est moderne et faux, mais bon, il parle à tout le monde) ou un knorr, comme on le pense souvent à tort. Et détail amusant pour un lecteur de ce blog, il en gravé une première esquisse dans un bloc de granit alors qu'il se trouvait sur l'île de de Bockholm, dans l'Archipel Finlandais.

Sólfar, le monument le plus photographié de Reykjavík, commémore les 200 ans de la ville.

lundi 9 mars 2015

Le Cercle Doré : Un circuit islandais

Þingvallavatn, le plus grand lac naturel d'Islande (84km²)
Durant mon stage en Islande, tout le monde me demandait si j'avais déjà fait le Cercle Doré, et je répondais toujours "non, mais on m'en parle tellement que je vais bien finir par y aller". Sauf que le temps passant, le projet allant et mes finances se réduisant, la perspective de faire cet incontournable parcours touristique s'éloignait à grands pas. C'était sans compter sur la générosité de ma boss Erna qui nous a emmenés, moi et Amelie (l'autre étudiante de ma fac en échange à ce moment-là), faire le Cercle Doré en compagnie de son mari - qui était notre conducteur en fait...

Alors déjà quelques clarifications sur ce fameux Cercle Doré (appelé aussi Cercle d'Or). Ça sonne un peu bling bling comme ça mais en fait c'est très populaire, et pas seulement auprès des touristes à qui cette appellation moderne est destinée. En fait c'est un circuit de ballade en voiture d'environ 300 km que beaucoup d'habitants de Reykjavík font le dimanche en famille quand le temps s'y prête. Trois étapes jalonnent ce circuit dans l'Ouest islandais, de nature très différente : Þingvellir, un lieu d'importance à la fois historique et géologique, Geysir, et Gullfoss. Entre ces étapes il y a le paysage islandais, toujours superbe, et l'occasion de profiter du grand air. Bon, ça se fait en voiture, hein, parce que ça prendrait un peu de temps de faire les 300 bornes à pieds, mais on peut s'arrêter au milieu de nulle part et profiter !

Almannagjá : La fissure entre l'Europe et l'Amérique du Nord.
Du coup nous sommes partis à quatre dans le 4X4, de bon matin comme il se doit, et le temps était avec nous. Faut dire qu'on avait déjà prévu de le faire plus tôt et que la météo nous avait contraint à annuler une première fois. On savait qu'on ne pourrait pas repousser cette ballade éternellement à deux semaines de la fin du stage, alors ce premier mai 2014, on y est allé ! Pendant que les Finlandais décuvaient dans les parcs de Helsinki après une nuit de Vappu bien arrosée, nous on roulait dans l'Ouest islandais, sourire bien en place, ciel bleu au-dessus de la route. Le trajet le long trajet m'a rappelé le road-trip avec Orri et Þóra, surtout le long de Þingvallavatn - le plus grand lac d'Islande. - qui tire son nom de notre première destination : Þingvellir... Là j'ai eu une belle rencontre avec l'Histoire : Celle de l'Islande, de l'Humanité, et de la planète elle-même. Ouais, rien que ça.

Car Þingvellir c'est un lieu magnifique. C'est là qu'on peut voir la fissure tectonique qui sépare les plaques eurasienne et nord-américaine, créant le canyon de Almannagjá.  Depuis le petit centre d'accueil, Amelie et moi sommes descendu le long de ce canyon, contemplant les énormes structure de lave et le paysage qui s'offrait à notre regard. On pouvait notamment voir une très belle église perdu au milieu de ce néant de lacs et de champs de lave. Jusqu'à ce qu'on arrive devant l'arc de cercle rocheux dont l'acoustique exceptionnelle avait déterminé le lieu où les Vikings décidèrent d'organiser l'Alþing, leur "parlement", pour faire simple. Il est d'ailleurs considéré comme le plus ancien parlement du monde, d'ailleurs le parlement islandais est toujours appelé Alþingi. L'endroit est donc d'une importance capitale pour l'Islande mais aussi pour notre Histoire commune. 

Les falaises de lave de Þingvellir...
C'est en cet endroit précis que les plus grandes décisions étaient prises, notamment deux qui eurent d'énormes répercussions pour le pays. La première fut le choix de faire du christianisme la religion officielle de l'Islande plutôt que le paganisme. Comme le pays était divisé, l'Alþing qui ne pouvait se résoudre à s'entendre a demandé à un de ses plus sages de prendre la décision. La légende dit que ce-dernier est allé se planquer sous des peaux de vaches toute la nuit pour réfléchir, avant de finalement décider que tous les Islandais seraient chrétiens. L'Alþing ayant accepté de se plier à son jugement, ainsi en fut-il. De fait, ce haut-lieu historique est un symbole national pour l'Islande qui en tire une grande fierté. C'est d'ailleurs en l'honneur du millénaire de cette assemblée que les USA offrirent la statue qui se trouve devant la Hallgrímskirkja.

Le second événement majeur eut lieu le 17 juin 1944, date où fut proclamée à Þingvellir l'Indépendance de l'Islande. Oui, l'Islande est une nation ancienne, mais un pays jeune (comme la Finlande en fait).

La falaise volcanique en arc de cercle qui donne son acoustique unique à Þingvellir. Le drapeau islandais flotte sur cette arène politique où furent prises les grandes décisions du parlement islandais, de 930 à 1798 (avant que le parlement ne soit déplacé à Reykjavík). Aujourd'hui les Ásatrúar y célèbrent chaque année le solstice d'été.
Mais cette faille tectonique a également permis l’apparition de la fissure de Nikulásargjá, qu'on appelle communément la Fissure aux Pièces : Peningagjá. C'est une crevasse remplie d'une eau d'un bleu intense, si profonde qu'on peut y faire de la plongée - bien que certains plongeurs n'en soient apparemment pas remontés... - et dans laquelle les gens ont pris l'habitude de jeter des pièces pour se porter bonheur, depuis un pont construit en 1907. L'endroit est juste sublime, la couleur de l'eau cristalline et l'impression de jeter un œil sur une fosse abyssale est saisissante.

On ne se rend pas forcément compte de la profondeur de cette fissure, en fait, mais croyez-moi, on la voit bien quand on se tient sur le pont.
La clarté de l'eau est incroyable, d'autant que cette crevasse s'étend sur de nombreux kilomètres sinueux pour rejoindre le lac...
On voit bien que la tradition de jeter des pièces s’est bien perpétuée. L'un de ces scintillements n'est autre que ma propre contribution à ce trésor englouti dans ces eaux fabuleuses.
A côté de cette faille miroitante il y a une petite église toute mignonne. Quelques mois plus tôt j'avais envoyé à mes parents une carte postale d'Islande et c'est en voyant cette petite église perdu dans le néant que j'ai réalisé qu'il s'agissait du site de cette carte postale (bon, la photo était prise dans des conditions particulières, et là c'était un beau jour plein soleil...). Ça m'a fait plaisir de me trouver face à ce paysage dont l'image m'avait profondément marqué (N'ayant pas trop l'amour des cartes postales, avoir choisi celle-ci lorsque je me suis plié à l'ancestrale tradition épistolaire est un signe qui ne trompe pas). En plus d'être un incontournable haut-lieu historique et géologique, c'est surtout un endroit magnifique pour se promener, et on comprend bien pourquoi les gens s'y promènent en famille... La proximité du lac, la ligne d'horizon montagneuse, la beauté de la plaine et le charme discret de cette église plantée face au Rocher de la Loi des anciens vikings...

Vue depuis le centre d'accueil au sommet du site.
Et vue de plus près...
Néanmoins il nous restait pas mal de route à faire, et après une promenade des plus agréables avec Amelie nous avons rejoins Erna et son mari qui avait pris la voiture jusqu'au parking situé en contrebas. J'aurais voulu rester un peu plus longtemps pour admirer le site mais c'était surtout pour sa charge symbolique. Je savais que la suite du programme ne me décevrait pas et je remontais en voiture sans regrets. D'autant plus qu'après un peu de route nous sommes arrivés à un site tellement iconique qu'il résume souvent l'Islande dans l'imagination populaire.

Les geysers.

Là l'excitation est montée d'un cran. Quand on est arrivé dans la vallée de Haukadalur et que j'ai vu les panaches de fumée, j'ai compris qu'on y était. La zone est extrêmement active, comme tout l'Ouest du pays en fait, mais c'était particulièrement notable à cet endroit. Bon, le nombre de voitures était un autre signe, hein, je dois bien l'avouer. Pas mal de touristes ce jour-là, même si honnêtement, on a eu du bol. Le fait que ce soit le 1er mai et que c'était Party Time à Reykjavík nous a épargné l'énorme affluence habituelle du site. Et comble de chance, le site était très actif ce jour-là ! Certains jours il n'y a qu'une seule "éruption" par heure, ce jour-là... je vous laisse voir par vous-même !


L'impression de puissance soudaine est assez fantastique. L'eau bout pendant un moment sans rien laisser paraître, et soudain, sans prévenir, c'est le bouillonnement incontrôlé qui se transforme en colonne de vapeur intense. On sent les forces telluriques profondes qui agitent régulièrement la région - et pas seulement d'un point de vue olfactif. Les vapeurs qui montent constamment de ces sources chaudes planent sur le sol coloré par le souffre, poussée par le vent, quand soudain c'est l'explosion, la Terre qui souffle et respire devant nous. Le bruit profond m'a réellement fait penser à une respiration sourde. Un souvenir impérissable.

Les fumerolles des sources chaudes à Haukadalur... Et la roche jaunie par le souffre.
Alors pour la petite histoire, si ce phénomène s'appelle geyser c'est à cause du nom de l'un d'eux, Geysir, mais ce n'est le nom que d'un seul geyser, qui en plus... n'est plus actif aujourd'hui. En revanche, le geyser Strokkur qui se trouve juste à côté est encore actif (et même très actif, comme on a pu le voir). C'était assez étrange de voir des gens, caméras à la main, espérer voir Geysir exploser comme son compère alors que... il n'y avait aucune chance.

Au moment où nous nous y sommes rendus, il faut savoir que le débat sur la gestion du patrimoine naturel faisait rage en Islande. Le développement du tourisme de masse étant totalement nouveau, le pays n'est pas encore sûr de savoir comment il veut/doit gérer cet arrivage énorme d'étrangers qui ont la fâcheuse tendance à ne rien respecter (sécurité, environnement...), mais aussi l'aspect purement pécuniaire. Faut-il faire payer les sites afin d'avoir les moyens de compenser les effets destructeurs de millions de visiteurs ? Si oui, comment ?

Strokkur dans toute sa puissance...
Deux idées prévalaient : Le paiement individuel, où les touristes paieraient leur accès à chaque site, ou le paiement d'une sorte de "carte nature" qui les autoriserait à se balader partout, mais sans laquelle ils ne pourraient pas visiter les sites naturels. Le problème du paiement pour chaque site est qu'il implique de "fermer" les sites avec des clôtures - sacrilège ! - et que la population islandaise trouve scandaleuse de devoir elle-même payer pour voir sa propre île. Quant au "pass nature" certains avaient peur que cela ne dissuade les touristes qui ont, en arrivant, déjà claqué un fric considérable juste pour le vol aller-retour. Avant qu'une décision claire et définitive n'ait été tranché, quelques sites - Haukadalur y compris - avaient mis en place des tourniquets et des "gardes" pour faire payer leur site, au grand dam général, échaudant le débat. Finalement après une très courte période, ces entrées payantes furent retirées et c'est là que nous y sommes allé, évité de peu cette micro-période payante. Mais la question reste ouverte et le pays cherche désespérément une solution qui satisfasse tout le monde. Car quoi qu'on fasse, ce nouvel afflux de touristes porte une atteinte considérable aux sites naturels du pays qui commencent déjà à en souffrir. Et il faudra bien payer pour leur entretient et leur sauvegarde...

Mais bon, sachant tout cela je n'ai pas boudé mon plaisir pour autant. J'ai adoré me promener dans ce véritable champ de sources chaudes, recevoir une pluie intempestive d'eau sous pression - qui contrairement à ce que j'imaginais n'est pas brûlante quand elle retombe - et voir le trou rocheux vidé par l'éruption se remplir à nouveau en bouillonnant avant de retrouver son calme - relatif !

Dans le temps, quand des visiteurs de marque visitaient le site, les autorités utilisaient une astuce pour provoquer des éruptions spectaculaires et éviter d'avoir à attendre jusqu'à une heure pour voir se produire quoi que ce soit. Cette astuce c'était de jeter dans ce puits naturel... du savon. Alors je ne sais pas comment ni pourquoi, mais apparent ça marche (j'imagine qu'il faut un savon spécial). Néanmoins, comme c'était plutôt dommageable au site, ils ont arrêté, et c'est tant mieux.
 Laissons la Nature faire ses propres merveilles...

On ne se rend pas forcément bien compte de la hauteur des jets d'eau et de vapeur, alors prenons un peu de distance... La foule de touristes donne l'échelle !
Geysir fume encore... mais n'explose plus. Face à lui s'étend une plaine islandaise typique, qui semble désolée mais regorge de plantes et de bruyère...
Si vous vous êtes déjà demandé à quoi ressemble un geyser lorsqu'il n'explose pas, et bien voilà : C'est un cratère rempli d'eau bouillante, avec une sorte de "cratère extérieur" qui recueille l'eau ruisselante après qu'elle soit retombée. La roche est magnifiquement colorée par le souffre, évidemment.
Finalement il a bien fallu repartir pour continuer notre périple, car l'heure tournait. Amelie et moi retournons en voiture, émerveillés et particulièrement heureux d'avoir eu autant de chance. Beau temps + geyser très actif + pas trop de monde... que demander de plus ? A part d'excellents sandwichs faits maison et une canette de Malt Extract ? Ah bah ça tombe bien, Erna avait tout bien organisé ! C'est sur le parking du dernier jalon de ce mini-road-trip que nous avons mangé tous les quatre, face à une gorge dans laquelle se jette une superbe chute d'eau, une des plus connues d'Islande :

Gullfoss.


J'avais déjà vu des chutes d'eau fort classes, mais celle-ci n'a pas déçu. Gullfoss dégage vraiment une impression de puissance, renforcée par le panache qui s'élève de l'à-pic où elle se jette après une série de rapides. Le soleil commençait à descendre à l'horizon et le ciel à se couvrir mais qu'importe ! J'avais savouré la bruine qui montait du ravin jusqu'au sentier, et le grondement de son débit. Avec les rayons dardant du soleil couchant, j'ai même eu droit à un arc en ciel, qui ne m'a jamais fait autant évoqué Bifröst qu'en ce endroit. Il y avait vraiment une beauté ancienne, qui paraissait immuable malgré tout ce que je savais des problèmes du tourisme. Comme si pour me réconforter la Nature islandaise me tapotait l'épaule en me murmurant à l'oreille "Tu sais, j'en ai vu d'autres"...

Gullfoss depuis le sentier, avec un arc-en-ciel bienvenue dans ce paysage magnifique.
Plus on descend le sentier qui nous amène vers les chutes, moins on les voit, paradoxalement, au point qu'une fois arrivé au niveau de l'à-pic, celles-ci nous semblent finalement assez calmes...

Le panache annonce déjà la couleur, mais le son est étrangement étouffé juste avant que le lieu ne nous offre son plus beau promontoire.
 Mais une fois que le sentier bifurque, le vacarme écrasant de puissance nous remonte enfin du canyon qui se révèle à nos yeux. C'est le moment de grâce, où de "chouette", Gullfoss passe à "superbe". Certains préféreront peut-être la vue plus lointaine et majestueuse du site, moi je dois dire que j'ai été conquis par l'aspect presque brutal dans sa beauté du promontoire qui surmonte l'à-pic. Comme aux geysers, on sent la puissance des éléments naturels en action, et ça c'est un régal pour les yeux.

Le bouillonnement enragé de la chute est très impressionnant, le grondement, le panache, les couleurs... On remarque que la neige n'a pas encore complètement fondu mais n'en a plus pour très longtemps...

Au-delà de la chute, la rivière continue dans un long canyon sinueux qu'on entraperçoit depuis la route sans suspecter sa profondeur.
Après un long moment contemplatif malgré la présence de nombreux visiteurs, je me suis résolu à suivre Amelie qui remontait vers la voiture. Il était temps de rentrer à Reykjavík, heureux et subjugués par cette journée à explorer la beauté de l'Islande. Je ne savais pas encore que deux semaines plus tard je m'embarquerai dans un road-trip en solo qui m'offrirait ce genre d'expérience avec beaucoup moins de gens autour de moi, j'en rêvais sans savoir comment je m'y prendrais et comment je m'en sortirais... A cet instant précis, le Cercle Doré était presque le pinacle de mon séjour. J'étais bouche bée et je n'osais imaginer ce que me réserveraient mes deux semaines "libres" après avoir vu ça. J'en suis encore extrêmement reconnaissant à Erna et son mari pour nous avoir offert cette excursion, ce sont vraiment des gens adorables... Là encore, l'accueil islandais dans toute sa splendeur.

Comme je ne suis pas radin, cet article contient DEUX vidéos (oui, je sais, ma bonté me perdra). J'avais monté la première sur les geysers juste après être rentré, l'esprit encore chamboulé par la beauté de l'endroit. D'ailleurs, si j'ai utilisé Wagner, c'est parce que la Marche Funèbre de Siegfried m'est instantanément venue à l'esprit lorsque j'ai visité le site, et ne m'a pas quitté tandis que je filmais les éruptions et les fumerolles des sources chaudes...Mais j'avais encore quelques images du reste de ce fameux Cercle Doré, et c'est pour cela que je vous ai préparé cette autre vidéo, qui résume l'ensemble de cette "petite" promenade des plus agréables...

 

Et pour finir, voici les trois sites visités en mode "J'étais pas tout seul donc j'ai des photos de moi sur-place, je peux vous prouver que toutes ces images ne sont pas simplement pompées sur Internet". Parce que mine de rien ça fait plaisir d'avoir quelques photos dans son album où on est dessus, pour le souvenir...

L'immanquable photo souvenir à Þingvellir...Et non, le pull n'est pas un souvenir d'Islande, comme on me l'a demandé sur place à plusieurs reprises, mais un cadeau d'Ada qui l'a tricoté elle-même.
Y a un petit côté Behind the Scene, puisque vous me voyez filmer pour le montage vidéo... Voyez comme je me mets au plus près des éléments pour vous servir ! C'était assez agréable en fait de se tenir comme ça dans la vapeur, j'aurais pu traîner un peu plus mais j'avais un peu peur pour l'appareil photo...
On remarque qu'il fait un peu plus frais et humide, je suis discrètement passé en mode parka...