Avant toute chose, et pour être sûr de vous garder en haleine malgré le bloc introductif qui va suivre, voilà de quoi il sera question aujourd'hui :
L'une des traditions les plus vivaces d'Allemagne du Sud-Ouest, c'est le carnaval, le Fasnet comme on dit chez nous. C'est aussi suivi et important que Noël ou Pâques, extrêmement populaire, et bien plus festif. Petit j'ai grandi en baignant dedans, on allait souvent chez mes grands-parents voir le défilé de Bräunlingen, ou même à Donaueschingen ou nous vivions, puis plus tard quand je vivais en France nous passions la frontière pour aller voir celui de Endingen. J'avoue ne pas toujours avoir pu apprécier autant que je l'aurais voulu, notamment à cause de la foule, toujours compacte, souvent mouvante, bref une situation avec laquelle il m'a fallu apprendre à gérer. Maintenant ça va (un peu) mieux. En revanche, la beauté et la richesse des costumes, la bonne humeur qui se dégage des chansons et des cris, les accessoires et les traditions liés à cet événement m'ont durablement impressionné. Aujourd'hui je le vois d'un œil adulte mais la magie est toujours là, et plus je lis et apprends sur le sujet, plus je réalise à quel point je m'en suis imprégné inconsciemment. Je suis persuadé que le Fasnet a planté une graine qui a grandi sans que je ne me rende même compte du lien de cause à effet entre cette tradition souabe-alémanique et ma façon d'appréhender le monde aujourd'hui. Bref, sans entrer dans les détails, c'est une fête qui a beaucoup d'importance pour moi.
J'ai votre attention ? |
Or il se trouve que cette année le Fasnet commençait assez tôt, et j'avais fait part de mon espoir de trouver un vol pas cher pour pouvoir y assister cette année. Bon, un petit reality check plus tard, j'ai accepté qu'en vivant en Finlande je m'en privais pour encore un bon moment... mon dernier défilé remontant à 2007, c'était celui d'Endingen. Et puis ma sœur a découvert que dans le village de ma famille allemande se déroulerait un Narrentreffen, une Rencontre des Fous, et ce... une semaine après mon vol retour vers la Finlande. Bien pour me narguer. J'ai essayé de changer mon vol, impossible. Il me fallait donc serrer les dents, me résigner et faire mes bagages. Ma sœur, elle, ne lâchant pas le morceau, m'appelle le dimanche soir alors que je pars le lendemain midi, pour me dire "j'ai trouvé un vol pas cher, tu peux rester le week-end prochain et voir le Narrentreffen !". Et c'est donc à l'arrache totale que s'est organisé ce petit week-end carnavalesque.
La Kelnhofplatz à Bräunlingen, en été. |
Nous sommes donc montés en Forêt Noire avec ma mère le samedi, suffisamment tôt dans l'après-midi pour voir les troupes de Schömberg et Rottenburg nous faire une démonstration de leur danse traditionnelle de Fasnet - en costume, cela va sans dire. Le temps était frisquet, la neige tombait timidement, la nuit, elle n'a pas tarder à nous recouvrir. Après les danses, la foule se meut vers la Kelnhofplatz, et l'excitation monte clairement d'un cran. Certes, les danses étaient chouettes et les participants se sont donné bien du mal malgré la neige, mais les gens sont principalement venu pour le clou du spectacle de cette première journée, la tradition propre à Bräunlingen, unique en son genre.
Le Hexenfeuer, ou Feu des Sorcières.
Habituellement, cet événement se déroule une semaine avant l'ouverture officielle du Fasnet, mais pour des raisons évidentes, une représentation a eu lieu pour le Narrentreffen, et quelle représentation ! On sent qu'ils se sont donnés à fond pour faire honneur à cette vieille coutume en cet anniversaire mémorable !
On y retrouve une des figures emblématiques du Fasnet : la sorcière. Les Urhexen de Bräunlingen sont très réputées dans la région. Non seulement pour leur traitement un peu particulier des jeunes filles durant les défilés - mais ça j'y reviendrai dans l'article suivant - mais aussi et surtout parce qu'elle ont ce petit plus que les autres sorcières de Forêt-Noire n'ont pas : Se servant de leur balais comme de perches, elles sautent à travers les flammes d'un feu de joie avant de le franchir à pied, sautillant sur ses braises incandescentes quand le brasier commence à se calmer... le tout en costume, évidemment, ce qui implique un masque en bois taillé d'une seule pièce, et donc une visibilité réduite. La cérémonie est des plus impressionnantes, et unique en son genre !
Pour ceux qui veulent surtout voir l'aspect spectaculaire, j'ai préparé une petite vidéo "résumé" avec les temps forts du Hexenfeuer, mais pour ceux, plus curieux, qui voudraient découvrir ses origines et en ressentir l'ambiance, j'ai la (quasi) intégralité de la cérémonie dans une vidéo un peu plus longue...
(en fait Youtube a supprimé le son de ma version courte pour raison de droits d'auteur donc je l'enlève)(mais si vous voulez la voir y a pas de souci : http://www.dailymotion.com/video/x4gnov5 )
La version plus intéressante (Intro et narration jusqu'à 6:20 environ, puis ça commence) :
Brièvement concernant les sous-titre : J'y ai passé un certain temps, pour ne pas dire un temps certain. Déjà parce que le monsieur parle beaucoup, mais surtout parce qu'il parle en dialecte. Alors bon, hein, vu la quantité de texte à traduire sous une forme toujours lisible et compréhensible, on ne m'en voudra pas d'avoir parfois résumé et/ou abrégé, voir ignoré, quand c'était redondant ou pas indispensable à la compréhension. Merci de votre compréhension. Et de votre Mitleid, éventuellement.
Si on regarde l'ensemble d'un œil extérieur et en se contrant sur l'aspect spectaculaire, on pourrait penser qu'il s'agit d'une moquerie des "sorcières" d'antan, avec parodie de bûcher. Pourtant, avec un regard plus avisé, on se rend compte qu'il en va tout autrement, et c'est pourquoi je met ce résumé en musique avant. La chanson parle du rituel du Blocksberg, grand mythe de la sorcellerie allemande, avec sacrifice au Malin et vols en balais. La totale. La seconde vidéo, avec sa narration, nous explique les origines de cette célébration et on comprend que c'est exactement de ce cliché qu'on souffert les femmes "druides" qui ont inspiré la figure de la sorcière alémanique.
Pour résumer, le narrateur nous explique que lors de la christianisation, les femmes druides qui maîtrisaient le savoir des plantes et des rituels anciens furent chassées de la société pour leur fidélité aux anciens dieux, mises au ban, forcées de vivre dans des huttes misérables, s'habillant de "chiffons" rapiécés, donnant naissance à la figure de la sorcière malfaisante et vilaine vivant dans les bois. Si cette figure de conte vous rappelle Hansel et Gretel ça tombe bien, eux aussi nous rejoindront dans l'imagerie populaire du Fasnet.
Le feu est prêt, il n'y a plus qu'à prendre de l'élan... |
Pourtant, à la fin de l'hiver, mais les bons chrétiens ne faisaient pas tout à fait confiance en leur nouveau Dieu pour chasser les démons de l'hiver, et c'est donc malgré leur conversion qu'ils se rendaient au début du printemps au Rocher des Druides pour une cérémonie tout ce qu'il y avait de plus païenne. Lorsque les druides disparurent finalement, ce furent les hommes de la ville qui prirent la relève, s'accoutrant comme elles et portant des masques pour ne pas être reconnus par les esprits et démons hivernaux qu'ils s'apprêtaient à chasser (Il est à noter que c'est l'une des raisons les plus anciennes de se masquer au Fasnet, quelle que soit la figure en laquelle on se costume. Avant de se masquer des autres, on se masque avant tout de ces esprits malveillants). Au Rocher des Druides on invoquait alors la Urhexe, l'Ancienne Sorcière, afin qu'elle brise le rocher et vienne enfin mettre une raclée à cet hiver persistant, afin que puisse renaître le printemps. On tentait d'impressionner les esprits hivernaux en faisant preuve de courage, c'est à dire en sautant à travers les flammes, tout en faisant du bruit pour les effrayer. D'autres figures du Fasnet s'y emploient également à coups de crécelles, de tambours et de vessies de porcs, mais nous verront ça plus tard !
Une Urhexe qui traverse les flammes comme si de rien n'était sous les yeux de ses "collègues". |
Durant la cérémonie, on peut y voir l'Urhexe sortir du Rocher, appeler à elle ses "collègues" pour un sacrifice rituel d'un bouc (un blót germanique en fait), avant que le canon de la Garde et surtout les Porte-Tambours vêtus de peaux de bêtes et de chapeau à cornes de vaches n'annoncent le début de la démonstration de force ! Les sorcières rivalisent alors de bravache en traversant les flammes, fanfaronnant et grognant, tandis que le public chante et les encourage. Ce soir, les démons de l'Hiver vont pas faire les fiers, car c'est le Hexenfeuer, aussi appelé Hexensprung (Saut des sorcières), et que les Sorcières de Bräunlingen sont tout simplement badass.
Même si la propagande chrétienne du Moyen-Âge a fait son œuvre dans la représentation de ces sorcières, c'est la vieille tradition pré-chrétienne alémanique qui se donne à voir, à peine grimée, elle aussi. L'origine du Fasnet, c'est ce fond païen germanique qui n'a pas voulu mourir et que l'Eglise n'a pas pu effacer. D'ailleurs, après la fin du Hexenfeuer, tout le monde se retrouve à l'église pour une messe où l'orchestre joue ses chansons de carnaval dans la nef principal et où les sorcières entrent en costume, suivie de près par l'odeur de fumée. Même la messe n'est pas aussi formelle, et la choeur accueille l'Arbre du Fasnet, une autre tradition qui a les mêmes origines pré-chrétiennes que le sapin de Noël, d'ailleurs. Ironiquement, comme le disait ma grand mère "l'église n'a jamais été aussi pleine, même pour Noël". Évidemment, quand au lieu du sermon mortifère et laborieux ont a des orchestres de carnaval qui fêtent le retour du Printemps après un bon feu de joie...
Détails des masques accrochés à l'Arbre, notamment deux Hansele et une Sorcière. |
Dans l'article suivant je vais entrer plus en détail dans les traditions du Fasnet, et à travers le défilé de rigueur je vous montrerais la beauté et l'originalité des costumes ! On reparlera de ce cri étrange "Narri ! Narro !", et on verra ce qui arrive aux jeunes filles qui restent trop près de la route lorsque passe le cortège des sorcières... En attendant, je vous laisse avec nos sorcières et je vous souhaite une bonne entrée dans le Printemps. :-)
C'est un coup à regretter de ne pas être venu...
RépondreSupprimerC'est pour ça que je me suis donné la peine de faire une version quasiment intégrale, pour pouvoir le voir comme si on était dans la foule, et pas seulement un best-of des prouesses de nos chères sorcières... Et comme la télé n'était pas là pour des raisons de gros sous, au moins j'ai ça à offrir.
SupprimerAh, et tu es toujours connecté sur mon compte :-D