Après ma visite des Météores, j'en étais resté à ce moment où j'attendais mon train à la gare de Kalambaka, sac à dos aux pieds, chapeau fatigué posé dessus. Entre ça et le coup de soleil sur ma peau de roux, difficile de ne pas se rendre compte que je n'étais pas vraiment du coin, même si j'avais pas les attributs habituels des touristes randonneurs. Mon sac n'était pas un sac Decathlon de la mort qui tue mais un Eastpack d'étudiant, mes pompes n'étaient pas des bottes de randonnée mais des chaussures de ville usées jusqu'à la trame dont les semelles tenaient à peine (chaussures achetées avant de partir en Grèce, et qui ont fini direct à la poubelle dès mon retour en France), je ne portais pas de vêtements de sport étudiés pour l'effort mais un jean (ouais, je sais, en juillet... en Grèce) et un T-shirt, ni de lunettes de soleil profilées teintées couleur essence.
(Et j'ajouterai en tant que mec : pas de barbe faussement négligée mais dont pas un poil ne dépasse parce qu'en fait on en prend soin tous les matins mais qu'on veut faire style je suis roots et je m'en balance, j'suis un aventurier. Ouais, ces gens-là, vous les avez forcément croisés durant vos randonnées.)
N'ayant pas de photo de la gare, voici une vue en plongée... de loin... |
Un touriste en solo, donc, mais pas le pseudo-baroudeur. D'ailleurs depuis ça a changé, mais en pire, puisqu'à force de m'équiper Armée de Terre et Bundeswehr je ressemble probablement à milicien sans abris. Bref. Quoi qu'il en soit, je n'avais pas le type touriste en solo habituel. C’est probablement pourquoi la femme qui s’est assise à mes côtés s'est senti suffisamment curieuse pour engager la conversation, avec l'éprouvé "D'où venez-vous ?", un classique qui a fait ses preuves. A l'époque, je ne compliquais pas les choses et répondais généralement "France", ce qui cette fois-ci m'a valu un grand sourire radieux et une réponse en Français. Car la Grecque en question tirait une grande fierté d'avoir étudié à Paris et vécu en France pendant quelques années, et on s'est mis à papoter un peu de la France, sa nourriture, sa culture, son actualité, et la Grèce aussi, du coup, le tout dans une grande cordialité. Sauf que forcément, parler de la situation de la Grèce en juillet 2010 c'était immanquablement évoquer le Grand Satan, la source de tout mal et de toute injustice, la nation de l'Antéchrist.
L'Allemagne.
(frisson).
Parce que oui, les Allemands sous la régence ferme d'Angela Merkel mettaient du temps à cracher au bassinet, et en plus n'en étaient pas particulièrement heureux. Du coup, haine et reproches pleuvaient sur les terres de Goethe et Schiller. J'avais tout entendu sur les Allemands, ces odieux fascistes mal dénazifiés qui réussissaient par l'économie ce qu'ils avaient échoué à obtenir par les panzers, grâce à leur Cheval de Troie : Le Großdeutschemark, nom de code €uro. Enfin, je croyais avoir tout entendu. Car une fois le sujet lancé, ma chère interlocutrice s’est mise à me parler des Allemands, qu'elle m'avoue détester. Ce sont "les pires", des "menteurs et des racistes" (là, j'ai voulu parler de l'attitude des Grecs vis-à-vis des Albanais, des Turcs, des Bulgares, bref, de tous leurs voisins, mais ça devenait trop intéressant pour l'interrompre). Les Allemands, appris-je, étaient des gros hypocrites qui n'avaient pas changé depuis les années 40. En fait, à l'écouter, une faille s'était ouverte dans le no man's land entre la France et la Pologne, déversant sur ces terres impies et reniées par Dieu une véritable armée de Soldats du Diable, faits de haine et de méchanceté pures, orientées plus particulièrement sur la Grèce, qu'ils jalousent, évidemment.
Et pour parachever la démonstration, mon argument préféré : "Les Allemands sourient comme s’ils étaient polis, mais ils ne le sont pas."
Et moi, j'étais assis là, souriant de toutes mes dents, comme si j'étais poli. Mais je ne l'étais pas, évidemment, je me devais donc de l'en informer, malgré mon hypocrisie innée et ma méchanceté naturelle : "Je comprends, mais bon, comme j'ai la double nationalité franco-allemande, ma mère étant allemande..."
DUNDUNDUUUUUUN.
Là, son visage se décompose un moment, elle cherche une porte de sortie, et s'en sort avec le classique mais éprouvé lui aussi : "Mais moi, ce que je critique, c'est les dirigeants, pas le peuple, hein." HAHAHAHA ta gueule, pensais-je. Mais j'ai opiné, de mon plus grand sourire allemand, je l'ai laissée creuser un moment et savouré son inconfort avant de changer de sujet. Mon train n'a pas tardé à arriver, ça tombait bien, mais j'ai profité de chaque seconde de malaise avec un plaisir mesquin probablement inscris dans mes gènes démoniaques.
Muahahahaha !
Bref, je me suis bien poilé avant un voyage en train dont je ne peux pas beaucoup parler : J'ai roupillé quasiment tout le trajet jusqu'à Athènes. Le Road-Trip avait été crevant, et je m'accordais enfin de m'abandonner complètement au sommeil - pas de risque de manquer un arrêt cette fois. Une fois à Athènes, il faisait déjà nuit, j'embarque dans la foulée dans un autre train direction le Péloponnèse : Corinthe, puis Kiato, où je descend, content de me savoir bientôt rentré après une longue journée de marche sous le soleil et de transports. Sauf qu'il est tard, très tard, et il n'y a plus de bus direction Xylokastro, où j'habite. Problème : il n'y a pas de taxi à la gare non plus. Je me fais embarquer par une petite famille fort sympathique qui avait pris le même train et qui me dépose au centre-ville, à la gare de taxis... Déserte, elle aussi. Là, j'étais surpris : Aucun taxi ? Du tout ? Kiato n'est pourtant pas si petit... Qu'à cela ne tienne, je sais qu'il suffit de longer la côte en marchant sur la route principale pour rejoindre Xylokastro, puisque c'est la route que je prend tous les jours pour aller à Velo, pour le boulot. La distance est un peu floue dans mon esprit, mais c'est le milieu de la nuit et j'ai pu dormir un peu entre Kalambaka et Athènes, donc je me sens d'humeur randonneuse.
En plus de ne pas avoir le choix.
Les plages que j'ai dû longer (mais de nuit cette fois). Dure, la vie, hein. |
Alors grâce à Google je peux vous le dire assez facilement à l'heure à j'écris ces lignes : Kiato - Xylokastro c'est 13 kilomètres. Heureusement, avant de sortir de Kiato j'ai pu m'acheter une Pita dans un kiosque juste avant qu'il ferme, et faire mon petit extra de marche sans avoir à souffrir d'un ventre creux. Ce fut une belle ballade, même si j'ai eu quelques moments un peu stressants parce que les conducteurs roulaient comme des dingues, probablement alcoolisés vue la conduite, et je n'avais pas de réflecteurs à l'époque (C’est venu avec la Finlande, ça). J'ai aussi été choqué en passant par un trottoir où s'étalait - littéralement - un cadavre de chat éventré et qui avait visiblement séché au soleil depuis plusieurs jours sans que personne n'estime nécessaire de l'enlever... alors qu'il se trouvait sur le bout de trottoir qui passait devant le jardin d'une maison où traînait un petit tricycle d'enfant. J'ai toujours du mal avec ce détachement des Grecs et la normalité d'une telle chose (voir traîner des cadavres d'animaux, là-bas, est loin d'être extraordinaire...). Je comprends qu'ils soient blasés par tous les chats et chiens errants (et malades) qui vagabondent et meurent un peu partout, mais perso, j'ai un chat mort devant chez moi, je le laisse pas sécher à la vue des mes gamins ! Mais je dois être trop Allemand, j'imagine.
L'église de Xylokastro, à titre d'illustration. |
Mais cette sensation euphorique de satisfaction ne me venait pas que du voyage. Je traversais Xylokastro en repensant à ce Service Volontaire Européen qui s'achevait dans une semaine. Six mois dans cette ville, plein de souvenirs, d'anecdotes, de bons moments, de moins bons aussi, mais une très bonne expérience qui s'apprêtait à s'achever. Ce Road-Trip était une sorte de baroud d'honneur, et cette traversée de Xylo' un adieu officieux. Car j'étais déjà en train de me préparer mentalement à rentrer, à planifier dans ma tête les étapes suivantes, notamment m'inscrire dans une université en Allemagne afin d'y étudier le travail social. Je pensais au Land dans lequel j'aimerai éventuellement m'installer, m'imaginant déménager à Fribourg pour revenir à ma Forêt Noire. La Grèce, c'était déjà fini, le Grand Final, c'était les Météores, j'en étais persuadé, et j'étais très, très content et satisfait de rentrer. La mentalité grecque commençait à me peser, la chaleur également, j'étais prêt à repartir.
Le dernier jour de mon SVE se lève sur la plage de Xylokastro |
C'est marrant comme les choses fonctionnent, parfois. Après un Road-Trip qui me paraissait être le pinacle de mon séjour, l'expérience grecque s'achevait dans quelques jours seulement, et sorti de nulle part, un nouveau tournant inattendu m'attendait. Alors même que tout semblait plié et que plus rien ne semblait pouvoir changer après 5 mois et 3 semaines. Comme quoi, il faut vraiment profiter de nos expériences jusqu'à la dernière seconde, on ne sait jamais ce que celle-ci nous réserve. Car l'expérience qui a eu le plus gros impact sur la suite de ma vie eut lieu les sept derniers jours de ces six mois.
C'est une des grandes leçons de ce Road-Trip et de mon SVE en général. Ne pas abandonner, et ne pas croire que les dés soient déjà jetés. S'attendre à l’inattendu, et l’accueillir quand il vient. Même quand il ne fait pas plaisir, en fait. Car l'ironie du sort, c'est que j'avais tenté pendant des mois de trouver un projet dans des pays Baltes ou Nordiques (j'avais pas mal tenté la Suède, l'Estonie, la Lettonie, le Danemark et la Finlande), pour y passer six à douze mois, à travailler avec des ados, réfléchir à mes études, et revenir à Strasbourg. Une amie m'écrivait d'ailleurs à l'époque "Qui sait, tu rencontreras peut-être une jolie finlandaise et tu voudras plutôt rester là-bas !". Mais aucun projet ne m'a pris, notamment pour raisons financières. Quand on m'a finalement proposé de remplacer un volontaire sur un projet financé et validé, c'était complètement à rebrousse-poil : L'un des pays les plus au sud de l'Europe, et un projet avec des personnes âgées, le genre de projet que j'aurais jamais recherché spontanément. Or, je sais maintenant grâce à mes études que travailler avec des ados n'est pas mon truc, et je serais donc probablement rentré de mon SVE sans être plus avancé qu'en y allant. Travailler avec des personnes âgées m'a ouvert une vocation que je n'aurais pas été chercher par moi-même, en cela je suis ravi de ne pas avoir réussi à trouver le projet que je cherchais et d'avoir été parachuté ailleurs par le Destin. Et pour couronner l'ironie de l'histoire, j'ai quand même rencontré une Finlandaise en Grèce et je suis bien parti dans un pays nordique, finalement, alors que je m'apprêtais à partir en Allemagne. Plutôt que d'y rester six à douze mois, j'y vis maintenant depuis 3 ans.
La vie a une drôle de façon de nous amener là où elle le veut, elle nous force à passer par des chemins qui ne sont pas toujours faciles à emprunter ni ceux qu'on aurait tendance à vouloir arpenter. Si j'avais fait le SVE que j'espérais, j'aurai vu l'Estonie ou la Finlande et serai probablement reparti comme ce fut le cas avec l'Islande, et sans savoir quoi étudier. En partant en Grèce, j'ai trouvé ma voie, avant de trouver le chemin de la Finlande en ayant un plan d'études. Ce fut un détour qui m'a non seulement amené où je le souhaitais, mais en m'y préparant afin d'en faire une expérience non seulement meilleure, mais aussi plus significative. Penser que si j'avais passé quelques jours à Venise durant ce Road-Trip je n'aurais pas rencontré Ada et serai parti en Allemagne comme prévu me laisse pensif.
Quoi qu'il en soit, c'est ce que je retiendrais de cette expérience grecque : L'imprévu, aussi amer, décevant ou agaçant qu'il soit, n'est pas un retard, ni du temps perdu, mais un détour pour mieux me préparer à la l'étape suivante. Et voir les choses de ce point de vue-là m'a permis de reconsidérer pas mal de choses dans ma vie et m'aide encore aujourd'hui à avancer plus sereinement.
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