samedi 21 mars 2015

Le road-trip français : la Petite France et le Strasbourg médiéval

Comme je reste du côté de Colmar quand je suis en visite en France, commencer à voir mes amis durant l'été 2014 à partir de Strasbourg s'imposait comme une évidence. Après tout c'est pas parce qu'on fait un pote-athon qu'on doit négliger ceux qu'on voit "le plus souvent" (ce qui veut dire une à deux fois par an en l’occurrence, hein, c'est pas la panacée non plus). C'est donc par une belle journée ensoleillée que j'ai rendu visite à Nicolas et Nicolas. Hum, dis comme ça, ça sonne un peu comme Dupond et Dupont... Ne leur dites rien surtout.

Le Palais Universitaire, où j'ai essayé d'apprendre l'Histoire.
Comme il faisait un temps radieux, je leur faisais part de ma volonté d'en profiter pour faire du tourisme avec ce nouvel œil frais et presque étranger. Et comme j'avais déjà fais mon tour de la cathédrale, j'ai décidé de passer la vitesse supérieure, de me mettre à l'épreuve face au défi ultime : Regarder en touriste un quartier où j'ai habité. C'est à dire un lieu où j'ai fais mes courses, l'aller-retour journalier vers la Fac, où je me suis promené en amoureux, engueulé en amoureux, rentré tard et crevé - voire un peu alcoolisé mais chut - où j'ai même traîné mon sapin de Noël emballé dans son filet depuis la place Kléber (tout seul parce que ma copine de l'époque m'avait dit "si tu veux un sapin, pas de souci, mais tu te démerdes")(Et je me suis démerdé like a boss, les touristes m'ont même pris en photo pendant que la guide, ravie, leur expliquait comment les vieilles traditions survivaient en Alsace, la preuve regardez ce jeune-homme va chercher son sapin au marché de Noël c’est fantastique woop woop)

Bref, je suis retourné visiter la Petite France.

Alors déjà ce nom de Petite France peut paraître saugrenu. Il y a à Strasbourg un "Quartier Allemand", qu'on appelle ainsi non pas parce qu'on y trouvait une concentration de population allemande, mais parce qu'il concentre tous les chefs-d’œuvre architecturaux construits par le Kaiserreich (y compris le Palais Universitaire de mon ancienne fac, ex-Marc Bloch claque tes fesses !), et donc quand on regarde ces bâtiments bien germaniques et bien gris avec colonnades, frontons... ben on comprend pourquoi on l'appelle "quartier allemand". Du coup, si je vous dis "Petite France", vous vous imaginez peut-être un petit quartier coquet avec un petit côté Haussmannien qui fait très France clicheton.

Bah non.
Tu la sens bien, là, l'Alsace de l'oncle Hansi ? La maison au bout des quais avec les rangées de géranium aux fenêtres est la célèbre Maison des Tanneurs, monument historique depuis 1927, témoin du passé de tannerie du quartier.
A gauche : le Restaurant du Pont Saint Martin, débordant de géraniums.
La Petite France c'est le quartier de Strasbourg qui fait le plus alsacien. C'est l'Ecomusée avec des vrais habitants, c'est la carte postale régionale typique faite brique (ou plutôt faite torchis). Colombages, étages élargis, rues pavées étroites, enseignes en Alsacien et/ou à base de "choucroute / Bretzel / Baeckahoffa". Il y a même un petit pont tournant bien pittoresque pour vous replonger dans l'ancien temps qu'il était mieux avant. Une carte postale je vous dis. Sauf que pendant un an, ce paradis des touristes c'était chez-moi. J'ai habité un an rue des moulins, sous les combles qui savent si bien capturer l'air torride de l'été alsacien, ce qui n'était pas grave puisqu'on pouvait ouvrir les fenêtres et profiter de la vue sur le pont pavé et la terrasse bruyante prisée du restaurant traditionnel en bas de chez nous. Oui donc pour être clair, le raclement des tables en fonte sur les pavés, à la fermeture tard le soir, quand tu te lèves tôt le lendemain... pas cool. Pour le reste ? C'est un quartier génial.

Parcouru par différents canaux, parsemé de ponts, d'écluses, de digues, de quais... C'est un coin à voir absolument si vous êtes à Strasbourg par beau temps. Venez vous y promener sans le trafic, sans le "ding" agaçant du tram, au bord de l'eau... Et si vous y venez en hiver, vous y trouverez le marché de Noël le plus traditionnel de Strasbourg (oui, oui, pas le truc en face de la cathédrale). Bon, je ne vous le cache pas, ça risque d'être blindé de monde, tout dépendant de l'arrivage des trains/cars de touristes.

Nicolas & Nicolas acceptant de se prêter au jeu de la photo souvenir sur l'une des écluses de L'Ill. Même si celle-ci semble très étroite (et rustique, c'est le moins qu"on puisse dire), elle permet néanmoins la navigation des péniches bateaux mouches à touristes (j'entends, les bateaux sont à touristes, pas les mouches) (qu'on ne me fasse pas sous-entendre des choses). Ça passe, certes, mais au millimètre.
Combo colombages + géraniums. Il ne manque que les cigognes. Tout à droite on remarque un bout d'une ancienne église reconvertie en théâtre : C'est le Théâtre Jeune Public, dans l'ancienne église Saint-Martin. Donc certes c'est un quartier très orienté tourisme, mais y a de la vie et de la culture, c'est pas non plus Santorin ! On remarque vaguement l'un des bateaux mouche dans l'écluse.
Et puis ce quartier est magnifique, faut que j'insiste. Les géraniums dont les paysagistes alsaciens ne peuvent se passer débordent de n'importe où où on peut planter des géraniums. Ensuite il y a le style alsacien lui-même, très médiéval avec ses colombages de style germanique et ses étages élargis. D'ailleurs pour ceux qui se demandent pourquoi les maisons s’élargissent à chaque étage, la réponse n'est pas vraiment artistique mais plus prosaïquement financière.

Oui, je sais, c'est un peu décevant.

A l'époque médiévale, la "taxe d'habitation" était calculée par rapport à la surface au sol de la base de la construction, le rez-de-chaussée. Du coup, en s'étalant un peu plus à chaque étage, on grattait un peu de place gratos. Problème : Cela rapprochait dangereusement les maisons les unes des autres, ce qui non seulement assombrissaient les rues (imaginez les problèmes d'hygiène à une époque où les toilettes c'est tout par la fenêtre dans la rue, cumulés aux problèmes habituels des ruelles sombres...), mais favorisait également la propagation des incendies.
Mais hei ! Fraude fiscale semi-légale ! Pourquoi se priver !
Mais du coup vous vous demandez "pourquoi diantre ce charmant quartier des plus bucoliques est-il appelé Petite France si ça n'a rien à voir avec l'architecture ?". La réponse tient en un mot :

Syphilis !

Oui, je sais, c'est pas la première chose qui vous serait venue à l'esprit. Moi non plus.
En fait le quartier tient son nom d'un hôpital traitant les soldats qui revenaient de la guerre en Italie infectés par cette MST, la syphilis, autrement connue en allemand sous le doux surnom de Franzosenkrankheit, le "mal français" (Cocorico !). Pourtant y avait d'autres trucs sympas hein ! Aujourd'hui c'est restaurants et boulangeries à gogo, mais dans le temps c'était le quartier des abattoirs et surtout des tanneurs. On y trouve également les ponts couverts et leurs quatre tours fortifiées, il y a une digue imposante... mais non, c'est l'hospice des vérolés et ses malades de la Syphilis qui baptisent le quartier. Youhou !

Les tours fortifiées des ponts couverts. (Archives 2011)
Les ponts couverts sont un bel endroit pour se promener en été, et la ville y organise souvent des animations sons et lumières pour diverses occasions. On peut facilement remplir les ponts et projeter des images sur les façades du tout proche barrage Vauban depuis les tours, c’est pratique. On y rejoins facilement les quais de chaque côté, puisque le Petite France se situe au bord de la Grande Île (le centre-ville historique de Strasbourg est construit sur une île au milieu de L'Ill) (L'Ill c'est une rivière, je sais, ça jette la confusion).

En dehors des ponts couverts, l'autre pont connu est le Pont Saint Martin, qui donne également à un restaurant de très bonne facture et des plus jolis ! Il y a aussi le pont tournant, trop bas pour laisser passer les péniches et qui, plutôt que de se redresser, pivote donc pour ouvrir la voie. C'est un attraction appréciée par les touristes... moins par les habitants quand ils reviennent les bras chargés de courses et doivent attendre que le bateau-mouche à touristes soit passé pour se débarrasser enfin de ses kilos à bouts de bras (enfin, après s'être tapé les escaliers jusqu'aux combles... oui, c’est l'expérience qui grogne, là, tout à fait).

Une vue de l'un des nombreux canaux depuis l'un des nombreux ponts. Ici, le fameux "pont tournant", de son vrai nom Pont du Faisan. Mais tout le monde l'appelle le pont tournant parce que... ben, il tourne.
Vue depuis le quai d'en face : le pont tournant et, une fois de plus, la Maison des Tanneurs...
"Au pont St Martin", on aime les plantes. On les aime beaucoup.
 C'est un très bel endroit, très agréable à vivre, notamment parce qu'il est calme en plus d'être beau. En longeant les quais je me rendais à ma fac à pied en une petite demi-heure, et c'était très agréable de grand matin de longer les façades à colombages et les docks auxquelles quelques péniches s'accrochent encore (souvent transformées en restaurants). Avec les deux Nicolas on s'est justement promené aux alentours, passant par le centre-ville tout proche, profitant du beau temps. Sans même s'en rendre compte on peut déjà se trouver face aux anciennes douanes de Strasbourg

Le bâtiment s'étale le long des quais, offrant aujourd'hui une agréable terrasse aux visiteurs venus se rafraîchir aux bords de l'Ill. Bon, il faut noter que ceci est une reconstruction d'après les plans d'origine, puisque la Libération n'en a pas laissé grand chose.
Construites en 1358, les anciennes douanes sont le fruit du pouvoir corporatiste médiéval (comme quoi on n'a rien inventé) et fut pendant des siècles le point de passage obligé du commerce strasbourgeois, où les denrées étaient taxées et contrôlées à l'entrée de la vieille ville (je rappelle qu'on se trouve là-aussi sur les bords de la Grande Île), ainsi que stockées, d'où la taille de l'édifice. On y frappait également la monnaie. Maintenant on la soutire aux touristes et à la haute, puisque les terrasses qu'on voit sur la photo ci-dessus sont celles du restaurant traditionnel huppé et hors de prix "l'Ancienne Douane".

Je tire celle-ci de mes archives de 2011 puisqu'elle a le double avantage de montrer l'extrémité du bâtiment, mais également puisqu'on y voit une affiche pour le musée historique de Strasbourg, de l'autre côté de la rue. En l’occurrence pour une exposition appelée "Strasbourg fait l'Histoire" et où l'on y voit le tableau d'Isidore Pils "Rouget de Lisle chantant la Marseillaise". Façon très subtile de rappeler que l'hymne national français fut écris à Strasbourg, et que derrière son surnom de Marseillaise il y a le Chant de Guerre pour l'Armée du Rhin.
En face se trouve le musée historique, au pied duquel les touristes embarquent dans les péniches aux noms pittoresques pour faire le tour des canaux de Strasbourg. Le musée en lui-même retraçant l'Histoire agitée et souvent sanglante de la ville (et par extension de la région), on ne sera pas surpris qu'il soit abrité depuis 1920 par un bâtiment lui-même historiques : l'ancienne Grande boucherie. Haha, ils avaient de l'humour, juste après la Grande Guerre !

Le musée historique dans l'ancienne Grande Boucherie, avec naturellement la cathédrale Notre Dame de Strasbourg qui fait coucou au-dessus des toits.
En remontant la rue dans le prolongement du Pont du corbeau sur lequel je me tenais pour prendre ces photos, on passe à côté d'une petite place sympathique qui fait partie intégrante de ce cœur historique très classe : la place des Tripiers. Bon, d'accord, dit comme ça c'est forcément très glamour, mais c'est un endroit très ombragé puisqu'encaissé entre de hautes habitations et où il y a également des arbres... idéal pour se poser en été quand il fait chaud (et il peut faire très chaud à Stras). Et la vue de sa partie ouverte est également des plus agréables.



Enfin au bout de la rue nous arrivons place Gutenberg, avec son carrousel rempli d'enfants et sa statue de Johannes Gutenberg (de son vrai nom Johannes Gensfleisch zur Laden zum Gutenberg. Je sais, on dirait un patronyme potache des Monty Python, mais il n'en est rien), l'inventeur des caractères d'imprimerie mobile, et donc de l'imprimerie moderne. Il a vécu à Strasbourg pendant dix ans et y appris l'orfèvrerie, maîtrisant alors les techniques qui lui permettront de développer son invention, qu'il peaufinera de retour dans sa Mayence natale. C'est donc assez naturellement qu'on trouve sa statue à Strasbourg, d'autant que son invention a permis l'épanouissement sensationnel des Lumières dans tout le Saint Empire, particulièrement en Alsace (et puis après... le moooonde !). Les incunables (ces ouvrages imprimés par des presses à caractères mobiles) et plus généralement l'imprimerie moderne sont si importants dans l'histoire du développement humain qu'on les considèrent comme des révolutions égales à l'invention de l'écriture ou de la roue. Et d'Internet, depuis.

Gutenberg, par David d'Angers. L'inventeur allemand tient un papier où il est écrit (en français... c'est là qu'on sent que la statue fut érigée en 1840) "Et la lumière fut", en référence aux premier incunable : la Bible.
Malheureusement, après notre longue ballade il a fallu que je me redirige doucement vers la gare, en descendant la Grand Rue où j'ai également résidé durant ma première années sur Strasbourg (avant de déménager dans la Petite France juste à côté, d'ailleurs). C'est une longue rue marchande assez étroite et pavé, qui fut longtemps réputée pour être la rue des prostituées. Et du coup, comme elle nous ramène l'air de rien jusqu'au quartier de la Syphilis, la boucle est bouclée... enfin je veux dire, le cercle de notre visite, n'est-ce pas. N'allez pas croire quoi que ce soit.

Ce fut un plaisir de revoir mes amis, et toujours un moment délicat sur les quais quand après des heures qui filent comme des minutes il faut arrêter de papoter et se dire au-revoir... pour une nouvelle durée indéterminée. C'est un pincement au cœur qui ne s'atténue pas avec le temps. Pourtant cette fois-là je savais qu'après cette étape strasbourgeoise incontournable, un périple plus long m'attendais, et que l'occasion viendrait pour moi de revoir bien d'autres visages familiers. Pour une fois, donc, cette tristesse se mêlait à l'excitation. Ce n'était qu'un prélude.

Le pavé de Grand Rue s'étale devant moi. Le périple ne fait que commencer...
PS : Merci Nicolas & Nicolas :-)

2 commentaires:

  1. Ah ouais .... La Petite France ça vient de notre passé syphilitique ... bin m.... alors !
    C'est pas très glorieux tout ça :D
    (Et dire que certains français en remettent une couche en nommant leur groupe de métal industriel "Treponem Pal" .... Cocorico, comme tu dis ! :D )

    En tout cas, encore une fois j'ai appris plein de choses ^^
    Je ne savais pas pourquoi les maisons s'élargissaient vers le haut (entre autres) :)

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    1. Bah après c'est juste une réputation qu'on se tapait, hein, les malades étaient Allemands et l'avaient chopé en Italie :-D

      Faudra que je jette une oreille à ce groupe du coup, histoire de voir si ça colle à l'ambiance -.~

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