Quand je me réveille à Egilsstaðir, le lundi matin, le temps est pour ainsi dire maussade. Je prépare mon Rucksack, remballe mon sac de couchage et après un petit-déjeuner équilibré (hot-dogs, avec le reste de pain et de saucisse que m'avais filé Svavar la veille, accompagnés de figues séchées), je sors et demande mon chemin à la station service, achetant une bouteille de malt extract au passage parce que quand même, un pays qui n'est pas l'Allemagne mais boit de la Karamalz, ça se soutient. Renseigné je me met en chemin sur la route qui mène à Mývatn, bien décidé à ne pas traîner mes guêtres dans l'Est plus longtemps... et quand je vois comme j'ai galéré pour atteindre mon objectif, je m'en félicite, j'ose à peine imaginer voyager dans les parages plusieurs jours, à faire pratiquement tout à pieds...
Je suis arrivé dans une région où je voyais plus de chevaux que de moutons ! |
Au début, j'y ai cru, car un petit vieux me prend après seulement un ou deux kilomètres... pour ne m'amener qu'au bout de la zone urbaine. J'ai probablement gagné 10 minutes, mais c'est déjà ça de pris, hein ? J'observe le lac depuis l'endroit où il m'a déposé et me met en chemin quand je constate que personne ne fait même mine de ralentir à ma présence... Je sais que la route entre les deux villes est longue, et que je devrais rester près des habitations, au cas où. Mais allez savoir pourquoi, le froid et la pluie, peut-être, ou encore le fait qu'il ait commencé à grêler, je me suis dit qu'être en mouvement serait pas mal, quand même. C'est la deuxième journée de marche qui commence pour moi... et alors que je quitte Egilsstaðir, le panneau électronique qui annonce les conditions de la route qui monte vers le plateau annonce -1°.
Woop Woop !
Cette randonnée introspective a surtout commencé après avoir quitté le vieil homme et sa Ford. Car après une heure de marche environ, un vieux monsieur s'arrête et m'embarque pour m'amener un peu plus loin dans la bonne direction. Il conduit une vieille Ford qui peine à dépasser les 70 km/h, au tableau de bord recouvert d'une espèce de moquette / fourrure brun DDR et qui n'a pas vu un aspirateur depuis des années. Il ne parle pratiquement rien d'autre que l'Islandais, et alors qu'il ralentit au bord d'un fossé, c'est avec les mains et des onomatopées qu'il m'explique que le mouton mort qu'il inspecte vaguement a dû être renversé par une voiture qui roulait trop vite et l'a pas vu - poom ! - et abandonné dans le bas-côté. Ambiance ! Heureusement que j'ai des réflecteurs à mon sac à dos, hein...
On finit par passer un pont enjambant un superbe ravin au fond duquel coule une rivière et je me dis "ah, j'aurais bien aimé jeter un œil de plus près", et justement, le monsieur s'arrête sur le côté. J'ai d'abord pensé qu'il avait remarqué mon intérêt, mais non, en fait, il allait bifurquer sur un chemin de terre et rejoindre sa ferme, et moi je devais continuer. Je réalise alors que je suis au milieu de nulle part, littéralement, en montagne, avec rien autour. Du tout. D'ailleurs, depuis le pont, voici la vue de chaque côté :
Il
faut savoir que les écouteurs de mon lecteur MP3 étaient morts depuis
mon premier mois sur l'île, et que je n'en avais pas racheté depuis. Du
coup, je n'avais même pas emmené le lecteur avec moi, et c'était une
excellente chose. Je n'aurais probablement pas hésité à écouter de la
musique pour m'encourager, tel un joggeur, et pour ne pas déprimer quand
la vingtième voiture m'a ignoré. Mais j'aurais raté la véritable
expérience de ce voyage, mon face à face avec la nature, d'abord, et
avec moi-même. J'ai beaucoup fredonné, siffloté et même chanté sur la
route, et quand j'en ai eu assez j'ai commencé à cogiter. J'avais plein
de choses qui me préoccupaient et me faisaient travailler les méninges.
J'ai tout d'abord pensé à ma situation économique, les études, le
rapport de stage, la couverture sociale, trouver un petit boulot,
apprendre le Finnois... et puis kilomètre après kilomètres ça s'est
resserré sur mon couple mourant, Ada m'ayant parlé de ses doutes depuis
février. Je sentais déjà que les choses allaient mal finir et j'ai
essayer d'envisager tous les scénarios, relativiser, chercher des
solutions, comment l'aider, comment sauver notre relation, comment me
préparer si c'était bel et bien fini... Et puis ça s'est encore resserré
sur moi. Pas une réflexion bidon "la vie, l'amour, la mort" avec
montage vidéo sur fond de guitare sèche et coucher de soleil. Non,
plutôt mes choix, mes responsabilités, mes devoirs, mes contraintes, la
bipolarité. Une longue introspection bercée seulement par le vent et les
chants cris des oiseaux. Le froid, la pluie et la
neige, et le vide autour de moi m'ont remis, concrètement et
physiquement, à ma place. J'avais mal aux jambes, la peau cramée, et
personne ne me prenait, mais je devais avancer, parce que je n'avais pas
le choix. On est finalement assez rarement confronté à des situations
où on se retrouve seul au milieu du néant avec seulement soi-même pour
s'encourager et se motiver, sous peine de se retrouver dans une
situation vraiment dangereuse. Pas difficile ou délicate, mais
réellement, physiquement dangereuse. Rien à des kilomètres dans
n'importe quelle direction, peu de trafic... Je ne pouvais compter que
sur moi. Si je réussissais où si j'échouais à atteindre mes objectifs,
il n'y avait que moi à féliciter ou blâmer. C'était comme en Grèce,
quand je suis parti voir les Météores en solo, mais sans filet, cette
fois. J'ai appris à mieux connaître mes limites physiques et mentales
pendant ce voyage, et ce jour-ci en particulier fut une étape
déterminante.
L'endroit où j'ai fait ma pause casse-croûte ! Pas de trafic donc tranquille sur le bord de la route... |
Heureusement, je n'ai pas eu à mourir de froid sur le
plateau toujours enneigé. Un couple d'Américains dans une bagnole de
location riquiqui finit par m'embarquer du côté de Hofteigur, soit,
depuis le pont, 20,7 kilomètres de marche (merci Google pour la
précision), et alors que nous faisons connaissance, nous passons les
hauteurs de Þjóðfell, prenons quelques photos et finalement redescendons en "plaine", passant officiellement dans la Région Nord.
Les plateaux encore enneigés que je suis bien content de ne pas avoir eu à franchir à pieds ! |
Petit arrêt pour qu'ils se dégourdissent les jambes et profiter du paysage. On remarquera une nouvelle fois les cairns au bord de la route. |
La route se passe bien, nous arrivons bientôt à Mývatn, et le soleil est de nouveau de la partie, comme pour me confirmer que j'ai bien fait de laisser l'Est derrière moi pour me consacrer au Nord. Et en guise de bienvenue, la région nous offre un premier aperçu de sa nature volcanique... active. Nous sommes en effet arrivés à Námaskarð, près du volcan Krafla. Et le moins qu'on puisse dire c'est qu'après les Fjörds de l'Est et les pâturages du Sud, le dépaysement était assuré :
Les couleurs m'ont immédiatement frappé, surtout après le gris/vert omniprésent de mon voyage jusqu'à présent. |
Je vous laisse imaginer l'intense odeur de souffre qui flotte dans l'air à cet endroit...
Nuages et fumerolles volcaniques se mêlent dans le ciel... |
L'odeur, le bruit, le paysage... on a l'impression d'avoir radicalement changé d'endroit du globe après les Fjörds froids et humides... |
Ces colonnes de fumée volcanique crachent le souffre en non-stop dans un vrombissement impressionnant. On a l'impression d'entendre la Terre respirer... |
Et la boue, là, est littéralement bouillante. Tomber dedans, c’est mourir. |
Bienvenue sur Mars. |
Après ce premier émerveillement, nous avons rejoins Reykjahlíð, au bord du lac Mývatn, de l'autre côté de ce pan de montagne fumant que vous voyez sur ces photos... Ils m'ont déposé à une supérette et j'ai finalement trouvé en demandant à gauche à droite un gîte-camping pas trop cher pour passer la nuit. Je pensais ne rester qu'une nuit, mais c'était sans compter la beauté de l'endroit...
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