jeudi 28 septembre 2017

Surströmming, une abomination culinaire

Rien que le titre de cet article est une hérésie. Surströmming n'a rien de culinaire.

La plupart des lecteurs de ce blog savent déjà qu'après plus de six années passées en Finlande, un nouvel horizon m'appelle tandis que je m'apprête à déménager en Suède pour suivre ma compagne. De gros changements en perspective sur lesquels je reviendrai peut-être dans un article dédié, parce que mine de rien ça fait beaucoup de choses en ébullition dans ma tête et qu'un blog sert aussi de soupape pour ce genre de choses. Mais en attendant de traiter de ce sujet d'une extrême légèreté, intéressons-nous plutôt aux vrais problèmes sérieux. Parlons bouffe. La Finlande m'aura offert l'occasion d'apprécier de nouvelles choses, comme le mämmi (souvenez-vous), le goudron (j'y reviendrai bientôt), le Kalakukko (un pain fourré au poisson), le Salmiakki (de la réglisse salée) et tant d'autres. Chirac aurait dit une fois qu'il n'y a qu'en Finlande qu'on mange moins bien qu'au Royaume-Uni. C'est peut-être un poil exagéré. On aime ou on n'aime pas, le sujet divise mais on est loin du désastre culinaire annoncé.

En revanche, en Islande, on est passé au cran au-dessus avec le hákarl (souvenez-vous). Là encore, réputation terrible à l'international, les locaux assumant eux-même qu'il s'agit d'un "goût qu'on acquière" avec le temps, et un concept assez peu ragoûtant à la base (un requin qui n'urine pas, et dont la chaire est saturée d'acide urique - donc toxique - mais qu'on laisse faisander pour la rendre comestible. L'Islande, le pays du bon goût.) J'avais déjà fais une vidéo où je goûtais du hákarl et, malgré l'impression de respirer de l’ammoniaque, c'était pas si horrible que ça. C'était mauvais, hein,  qu'on soit bien d'accord, mais loin de l'horreur escomptée.

Quelques années plus tard, je m'apprête donc à quitter la Finlande pour la Suède. C'était donc le moment idéal pour réaliser un vieux projet que j'avais échafaudé il y a des années avec mon ancien coloc Finlandais, à la fois l'occasion de nous amuser avant de nous quitter (c'était déjà lui qui avait filmé la vidéo du mämmi, entre autres), et de me préparer à mon nouveau pays d'accueil. Les astres étaient alignés, il était temps de nous attaquer à la bouffe à la réputation la plus détestable qui soit.

Le Surströmming.


Internet regorge déjà de vidéos de gens goûtant avec plus ou moins de succès à cette spécialité suédoise constituée de hareng de la Baltique fermenté selon une recette bien particulière qui implique deux bains de saumure différents et tout, on n’est pas dans du simple "mettez le hareng dans la boîte et basta". Vous ne voudriez pas rater votre poisson, n'est-ce pas ? (Attention, c'était du sarcasme). Je savais donc à quoi m'attendre. Mais quelque part, la semi-déception du hákarl m'avait échaudé et je me disais que les gens incommodés des vidéos Youtube exagéraient pour la mise en scène. Du coup j'y suis allé avec un peu de nervosité, tout en ayant conscience que ma vidéo serait peut-être moins... parlante. Après tout, si ça pue et que c'est pas bon, bah c'est vite réglé comme pour le hákarl.

Toutefois, il m'avait été recommandé par plusieurs sources indépendantes de : 

1) Ne pas l'ouvrir à l'intérieur.
2) Ne pas l'ouvrir à proximité des habitations.
3) Ne pas l'ouvrir sans avoir pris la précaution de plonger la boîte sous l'eau.
4) Ne pas l'ouvrir.

Nous avons donc pris le bus et marché un peu pour nous isoler en forêt, dans un coin où nous avions déjà tourné une vidéo par le passé (nostalgia trip oblige), que nous savions isolé, pratique pour poser la conserve et à l'abri des rafales de vent pour éviter le sfffrrfffrrssshhfrr de la Norvège. Tout était prêt, il n'y avait plus qu'à commencer.


La vidéo parle d'elle-même, Surströmming ne déçoit pas. Si l'odeur met un certain temps à se répandre, laissant croire un instant que "c'est pas si terrible, finalement", elle est véritablement putride. C'est la chose la plus immonde que j'ai jamais goûté. Ou même juste senti. Quand quelqu'un viendra vous faire chier parce que vous ne mangez pas assez de nourriture bio, naturelle, sans additifs, sans conservateurs, offrez-leur du Surströmming. Du hareng, de l'eau, du sel, ei muuta. 100% naturel. Le résultat est juste à vomir. Littéralement. J'ai mâché mon morceau deux trois fois avant de le cracher, impossible d'avaler ma bouchée pourtant précautionneuse. Je pense que j'aurais tout rendu si j'avais avalé ce truc. La texture a l'air gluante, notamment avec les boyaux de poisson qui flottent dans l'eau, mais le poisson a encore sa colonne et donc il faut un peu tirer dessus pour arracher un morceau. La chaire est aussi ferme que les harengs marinés qu'on trouve dans n'importe quel supermarché finlandais (qui eux sont bons, hein, je précise), et moins "moelleuse" qu'un rollmops. Ah et aussi c'est proprement dégueulasse, l'avais-je déjà précisé ?

100% Nature. Et la nature, c'est forcément bon.
Alors dans la vidéo vous me voyez joyeusement nous débarrasser de la boîte (préalablement vidée de son contenu innommable sous les arbres) dans une poubelle. Mais nous n'étions pas débarrassés de l'odeur pour autant, parce que même en rinçant vite fait mes mains avec des mouchoirs et un peu d'eau, l'odeur persistait. On passe à la supérette pour me laver les mains : plus de savon. On va donc acheter des lingettes nettoyantes : horreur, l'odeur est comme "activée" par l'humidité. Il faut les laisser sécher pour limiter les dégâts. 40 minutes de bus avec cette odeur de poisscaille pourri sur les mains ! Arrivé chez mon ancien coloc, lavage de mains. Cinq fois, avec trois détergents différents. Toujours les doigts qui puent. Retour chez moi, re-lavage de mains, savon, bicarbonate de soude... et toujours une vague odeur écœurante sur les mains... Nous sommes le lendemain et, fort heureusement, ça y est, j'en suis venu à bout. Donc si d'aventure vous aussi souhaitiez tenter votre chance avec le Surströmming, conseil d'ami : mettez des gants, ou préparez-vous à vivre avec les conséquences de vos actes pendant de longues, très longues heures (ou chaque fois que vous humez vaguement l'odeur de poisson sur vos mains, votre cerveau se rappelle de cette bouchée fatidique en mode syndrome de stress post-traumatique, hauts-le-cœur en sup).

Pour en savoir plus, la page française de wikipedia est un peu succincte. Je note qu'ils associent le Surströmming à d'autres plats "similaires", genre le hákarl justement et... le gravlax ? Mais c'est génial le gravlax ! (si vous aimez les tranches de saumon cru un peu salées). Rien à voir, mais alors rien du tout avec l'haleine matinale de Cthulhu qu'est le Surströmming. Par contre le Kiviak, le pingouin fermenté des Inuits, m'intrigue. Hop, sur la liste.

La page anglaise est plus fournie, avec quelques anecdotes rigolotes, comme ce propriétaire allemand qui a jeté dehors sans préavis un locataire qui avait répandu du jus de Surströmming dans la cage d'escalier. Poursuivi pour cela devant la justice, le propriétaire a plaidé sa cause en ouvrant une boîte de cette horreur en pleine cour. La justice, comprenant la gravité de l'incivilité commise par le locataire, a étrangement donné raison au proprio.

Bref, ça y est, j'ai enfin testé le Surströmming comme je me l'étais promis il y a longtemps sans jamais oser trouver le temps de le faire. Et donc, en conclusion : c'était pas très bon.

Maintenant que c'est derrière moi, la Suède ne peut plus rien me servir de pire.

N'est-ce pas ?

PS : Si la conserve a bien été achetée et consommée jetée dans les buissons en Finlande, la marque est bel et bien suédoise, il ne s'agissait pas d'une abomination équivalente finlandaise. Proudly made in Sweden.

8 commentaires:

  1. Merci de t'être sacrifié pour notre édification :D Note : le pain au poisson finlandais c'est du "kalakukko", pas kalakakku (même si ce serait plus logique).

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    1. De rien ! S'il y a bien une expérience qui suffit largement par procuration, c'est bien celle-ci. Et merci, c'est corrigé ! :) (je me mélange les pinceaux à chaque fois, et Céleste me reprend... à chaque fois :-p )

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  2. Vidéo étrangement cathartique, merci d'avoir souffert pour nos péchés :)
    (Plus sérieusement, comment est-ce qu'un truc pareil est encore commercialisé? Genre y'a les BOYAUX dans la boîte et ça choque personne?)

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    1. Tu sais bien que la catharsis c'est mon truc ;) Après, pour être tout à fait franc, très rapidement ce ne sont pas franchement les boyaux qui te viennent à l'esprit si tu devais trouver une bonne raison de ne plus commercialiser ce produit. ^^

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  3. "Les mouches ont l'air d'apprécier", tu m'as tué ^^
    Les détails du wiki anglais sont savoureux (c'est peut être pas le terme adéquat): "Surströmming today contains higher levels of dioxins and PCBs than permitted in the EU." ... ... ...
    Le prétexte pour le bannir des aéroports, aussi "non, mais ça risque d'exploser", c'est vrai d'un certain point de vue, comme dirait Obi-Wan.
    Peut on envisager un bannissement par un prochain addendum aux traités contre les armes biologiques et chimiques?

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  4. Je dois avouer que voir la conserve bomber ostensiblement après seulement quelques heures passées hors du frigo, ça fait réfléchir. ^^ Et je suis parfaitement d'accord, on est clairement plus sur de l'arme biologique et chimique que sur de la cuisine ! Quand on interrogera les ouvriers des usines d'Oskar dans trente ans, ils nous diront qu'ils n'ont fait qu'obéir aux ordres.

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    1. OH mais oui! De nombreux gouvernements et organisations internationales veulent l'interdire, mais la production continue. Banni des aéroports mais distribué dans tout le Nord. Fabriqué en masse, largement distribué à la population locale, qui a développé une résistance à ses effets au fil des générations.
      Le Sürströmming fait clairement de l'arsenal de dissuasion tactique de la Suède! En ce contexte tendu avec la Russie, l'utilité stratégique de la chose lui permet de continuer à circuler malgré sa dangerosité avérée: TOUT est lié!

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    2. Etape 1 : Percer la conserve de multiples trous. Etape 2 : La faire rouler vers l'ennemi. Etape 3 : Attendre quelques instants en écoutant les échos de hauts-le-cœur. Etape 4 : Marcher tranquillement vers les lignes adverses. Aucune résistance rencontrée.

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