samedi 16 novembre 2013

Choc culturel, intégration, et autres poncifs : Une Introduction

Si vous êtes intéressé par l'expatriation, qu'elle soit temporaire ou définitive, vous avez probablement vu/entendu parler de cette fameuse courbe d'adaptation qui vous montre les phases par lesquelles vous passerez probablement lors de votre expérience. Cette courbe, la voici :

Emprunté à http://www.gestion-des-temps.com/
On nous l'a sortie avant mon départ en Service Volontaire Européen, durant notre "séminaire", et plus récemment j'y ai eu droit à nouveau dans une réunion d'information relative à mon futur échange durant le second semestre de cette année. Cette courbe est ressortie à toutes les sauces, et ce malgré le bémol que "ça dépend des personnes et tout le monde ne passe pas par toutes les phases, etc. etc.". Alors certes, je suppose que beaucoup de monde est passé par là, sinon cette courbe n'existerait probablement pas, mais à titre tout à fait personnel, je dois dire que cette courbe me fait bien rigoler.

Ni en Grèce durant mon SVE, ni en Finlande je n'ai suivi cette courbe, et pour des raisons différentes en plus. Si j'osais, je mentionnerai mon déménagement en France ou, malgré ma double culture (ou à cause d'elle), débarquer dans un village très replié sur lui-même a été peut-être l'un des pires chocs culturels qu'il m'ait été donné la "chance" d'affronter. Oui, je dirai que déménager dans un petit bled Alsacien a plus dépaysé le germano-alsacien que j'étais que la Grèce, mais bon, j'étais jeune et naïf à l'époque. Bref.

Résumons succinctement cette fameuse courbe. Théoriquement, on arriverai dans le pays d'accueil, et comme tout est tout nouveau tout beau, on traverserait une phase d'euphorie souvent appelée "lune de miel". Puis, la réalité nous rattraperait et nous plongerions dans un état d'agacement profond : Nous remarquerions ce qui ne nous plaît pas, nous semble ne pas fonctionner, le mal du pays nous prend, bref, c'est le choc culturel. Puis, par un procédé d'acculturation, nous accèderions à une stabilité retrouvé, l'intégration. La courbe ci-dessus donne même trois variantes possibles à l'issue de ce processus :

a) Vous ne parvenez pas à vous intégrer, le choc est trop grand, et c'est la dépression qui vous guette.

b) Vous êtes intégré, tout va bien, mission accomplie Bravo Leader.

c) Vous êtes devenu un intégriste de votre pays d'accueil, un converti fanatique qui connaît mieux ce pays, ses coutumes et son histoire que les natifs. Vous leur faites presque peur, en fait.


Mon expérience n'a pas suivi ce modèle. Commençons par la Grèce.

La Grèce a commencé par la découverte que nos appartements étaient bourrés de volontaires (jusqu'à quatre par chambre prévue pour deux qui se serrent...), et un projet qui n'avait apparemment pas besoin de moi pour un mois. Une organisation déplorable côté association d'accueil donc, mais une bonne humeur et une chaleur humaine qui donnait un a priori tout de même positif. Malheureusement, travailler dans ce projet c'était quand même la raison pour laquelle j'étais venu. Je découvre aussi les joies des transports en commun grecs et leur absence en pratique de grille horaire, l'attitude "aujourd'hui peut-être, ou alors demain" et "je suis en pause, unique client de l'après-midi, ne me dérange pas". La lune de miel, je ne l'ai pas eu, je suis directement passé au gros choc culturel qui tâche. Et si mon acculturation s’est faite par à coups, j'ai réussi à ignorer le fait que rien ne marche et que tout fonctionne par piston. Du maire du petit bled à la Police, tout passe par le petit billet glissé où il faut quand il faut. Et ça, ça m'a gonflé du début à la fin, mais j'ai fait avec. J'ai découvert la chaleur des gens, leur hospitalité, et j'ai apprécié. Est-ce que cela compensait leur absence totale de réflexion dans leur comportements à risque ? Non. Exemple :

Moi : "Vous pensez que c’est une bonne idée de jeter vos mégots de cigarette par la fenêtre, en été, au milieux des montagnes ? Il y a pas mal de feux dans toute la Grèce à cette période de l'année, tous les ans, et..."

Réponse des travailleuses sociales après un éclat de rire : "Ça c'est les gens qui brûlent leur terrain pour l'assurance, pas les cigarettes !"

Voilà voilà... Je ne me suis jamais adapté à la culture grecque, et j'en ai rapidement eu marre. J'étais content de partir après six mois. Les gens étaient adorables, en tant qu'individus, la nourriture était excellente, les paysages somptueux, mais le pays en tant que culture (dans sa forme actuelle), ne m'a laissé de place ni pour la lune de miel, ni pour l'adaptation. Je suis passé de l'agacement au rejet en 6 mois. Tout en adorant les gens pris individuellement, ce qui fut le plus troublant. Les travailleuses sociales avec lesquelles j'ai travaillé étaient très prévenantes et gentilles, mais leur petit rire amusé quand je leur faisais remarquer qu'avec un paysage aussi somptueux que le Péloponèse c'était dommage de jeter tous leurs déchets par la fenêtre de la voiture au lieu de les mettre dans un sachet pour les jeter plus tard, je n'en pouvais plus. Ah, le petit écolo allemand, qu'il est amusant avec son concept de poubelles !

Xylokastro: Mes premières impressions de la ville.
Car oui, les Grecs ont beau vivre de leurs paysages et de leur patrimoine historique et culturel, ils le traitent avec un manque de respect qui touche au scandale. Entre le recyclage qui se résume à "papier-carton par la fenêtre gauche, plastique par la fenêtre droite" et les plages dégueulasses à peine nettoyées en plein été, j'ai été époustouflé par le dédain général des Grecs pour leur environnement, qui est pourtant leur gagne-pain majeur. Des détritus partout ! Et là je ne parle pas des grèves des éboueurs, je parle des sentiers, plages, grottes, trottoirs, des villes aux petits villages de montagne. Saison ou hors saison, d'ailleurs. Ironie, le touriste qui prendra de l'argent au distributeur de billet chez Alpha Bank se voit admonesté sur son reçu "Please keep Greece tidy" (veuillez laisser la Grèce propre s'il vous plaît) pour l'encourager à ne pas laisser le reçu traîner par terre. L’hôpital qui se fout de la charité, merci. D'ailleurs, tout un groupe de volontaires à Xylokastro n'était là que pour "nettoyer la plage et la forêt" avant la saison touristique... Mais l'exemple le plus criant qu'il me fut donné de voir fut ma visite dans la grotte de Drogarati, à Céphalonie. Un chef-d’œuvre de la nature et l'un des deux plus grosses attraction de l'île avec la grotte de Melissani (les deux grottes en question étant, grosso modo, la raison pour laquelle un touriste choisirait de venir sur cette île plutôt qu'une autre). Alors que je m'apprête à sortir de la grotte, l'un des gardiens avertie un groupe de touristes de ne pas prendre de photos avec flash, parce que la luminosité permet aux champignons et autres fongus de se développer. Je lui dit avec un sourire qu'heureusement que j'avais désactivé le mien parce qu'on ne m'avait pas averti, et que je trouvais que de toute façon les lumières de la grotte étaient suffisantes. Et alors là, stupeur.

Le gardien : "Oui, mais ces lumières sont mauvaises aussi, elles aussi elles font grimper des plantes et champignons" me dit-il en me montrant la mousse qui pousse autour d'un spot. "Ce ne sont pas des lumières spéciales."

Moi : "Mais est-ce que des lampes spéciales existent ?"

Lui : "Oui, oui, ça existe..."

Moi : "Mais cette grotte c'est non seulement un trésor de votre patrimoine mais aussi votre attraction phare, si vous ne mettez pas de bons spots vous allez la détruire ??! Pourquoi ne pas installer des lampes qui préserveraient la grotte ??" (et encore je fais court, j'étais sur le cul et donc assez loquace)

Lui, sur le ton de la conversation : "D'où venez-vous ?"

Moi : "De France."

Lui : "Ici, c'est la Grèce."

Ici, c'est la Grèce. Et cette réponse résume mon expérience avec la culture grecque, une ligne descendante que ni les paysages ni l'hospitalité des habitants n'a su remonter. Le choc culturel fut énorme, parce que je voyais une culture ancienne et fière tournée entièrement vers son passé, vivant du tourisme sans prendre soin de son outil de travail, manifestant contre l'"avarice des fascistes allemands" en défilant avec des panneaux montrant Merkel en uniforme de SS, tout en s'étonnant sincèrement sur les plateaux télé de la baisse significative de l'arrivage de touristes allemands pourtant super-clients habituels. Et ce en pleine grève des livreurs d'essence et donc un pays à sec de carburant en plein mois de juillet. Une Grèce qui se réclame source de la culture européenne, berceau de la civilisation hier, aujourd'hui et pour toujours (sérieusement, lu tel quel aux Météores) mais qui me justifiait la situation économique actuelle par des raisonnements du genre "nous sommes le seul pays à qui l'Allemagne n'a rien dédommagé après la guerre, et voilà où on en est". Voilà. Ici, c'est la Grèce.
De l'importance du cadrage : Ce que j'ai évité de vous montrer. Montagnes près de Velo, mars 2010.

Maintenant, la Finlande. J'ai eu la chance de pouvoir visiter le pays deux fois presque d'affilé quelques mois avant d'y emménager, en total touriste, donc, sans contrainte administrative ou autre. Mais le choc culturel n'a pas vraiment eu lieu, car comme tout bon touriste, j'étais tout de même isolé par cette bulle qui fait que je n'étais que "de passage". L'acculturation n'a pas vraiment lieu d'être et tout métissage culturel ne peut être que superficiel. Le vrai défi a commencé en août, quand j'ai déménagé pour de bon. Aller simple. Là aussi, le schéma classique n'a pas eu lieu.

Et pourtant, la culture finlandaise est beaucoup plus proche de ce que je peux accepter en tant qu'individu, et de ce à quoi mon esprit peut accepter dans un processus d'intégration. Le problème n'était donc pas dans une culture trop différente. Le problème c'est que j'ai eu à affronter une série assez harassante d'épreuves administratives, entre la Police, la Magistrature, la Banque, le système de santé, l'assurance, la fac. J'ai eu la tête dans le guidon si longtemps et si intensément qu'une fois la situation plus posée, j'avais déjà une idée assez équilibrée des deux faces de la médaille qu'on appelle Finlande. J'avais vu ses aspects les plus plaisants et son côté casse-couille. Pas de lune de miel au programme ou le pays serait parfait. Pourtant, après deux ans et demi de vie sur place, je n'ai jamais eu non plus de phase où le mal du pays m'aurait saisi et où je me serais dit "au diable ce pays de dépressifs alcooliques !". Même dans les pires moments financiers/administratifs, j'ai traversé la tempête en ayant à l'esprit "tu l'as voulu, tu l'as eu, un grand coup dans ton..." ainsi que ces aspects culturels qui me faisaient persévérer. Depuis le début, j'ai une expérience de la Finlande qui tient en équilibre entre ces deux côtés, et je peux donc dire que j'ai suivi une ligne ascendante sans tomber ni dans l'euphorie, ni dans le choc culturel. Peut-être que la culture finlandaise est trop proche de l'allemande avec laquelle elle partage beaucoup ? Ou bien c'est justement le contraste avec la Grèce que j'avais quittée seulement un an plus tôt ?

Par honnêteté intellectuelle je me dois de mentionner que les finlandais, eux-aussi, souffrent d'un paradoxe concernant le recyclage, j'y reviendrai plus tard car ça, par exemple, ça m'agace :-p
Maintenant je suis culturellement intégré (bémol pour la langue encore mais bon, c'est le finnois, c'est dur. Voilà.), et j'apprécie le pays pour ce qu'il est : Un beau pays de gens bourrus mais sur lesquels on peut compter s'ils vous acceptent, et dans lequel je me sens bien et voudrais volontiers travailler une fois le diplôme dans la poche - bref, y vivre, et ce en toute connaissance de cause. Je ne nie pas que pas mal de trucs peuvent m'agacer, que niveau nourriture au quotidien c'est pas le pied (et ça on s'en rend compte dès le Jour 1), que la vie est trop très chère... mais je m'y plais, je suis intégré. Et la France ne m'a jamais manqué.


Sauf sa cuisine.

4 commentaires:

  1. En tant qu'exilée au pays où le raffinement culinaire suprême est le fish'n'chips, je comprends ta nostalgie de la cuisine française :(

    Pour moi, aucun choc culturel en arrivant en Nouvelle-Zélande, parce qu'en fait la culture Kiwie est presque exactement similaire à la culture Britannique (mais ne le dis pas aux Kiwis sinon ils vont faire leur petit caca nerveux "Nan on est spéciaux, on est différents, on a une culture à part" - dis ça à ton plat national les fish'n'chips, AHAHA).

    (Bon si, y'a la culture Maorie qui est différente, mais les Maoris et les Pakehas vivent complètement séparés - du communautarisme comme j'en ai jamais vu nulle part en Europe - du coup, en tant que Pakeha, tu n'as jamais d'occasion de rencontrer des Maoris (sauf si tu bosses à l'usine ou que tu es tout en bas de l'échelle sociale, là t'en trouves plein (pour l'intégration sociale, on repassera), parce qu'ils ont leurs écoles, leurs bars, leurs quartiers, leurs églises, etc.)

    (Ma connaissance de la culture Maorie pour le moment se limite aux connaissances de Fla - qui a bossé à l'usine, donc, où il n'y avait que des Maoris et des étrangers comme lui - et de lire des bouquins ou de regarder Maori TV)

    Bref.

    Donc j'ai pas expérimenté de choc culturel à proprement parler (juste des toutes petites choses, genre les magasins qui ferment à 17h, l'absence de cafés, ou le fait que les Kiwis s'en foutent d'être en retard - et ça c'est un truc qu'ils ont hérité directement de la culture Polynésienne, parce que je peux te dire qu'un Anglais en retard, ça ne passe pas!)

    Le choc culturel, je l'ai plutôt vécu en Angleterre, mais pour le coup j'ai suivi exactement le schéma (donc on m'avait d'ailleurs aussi parlé en cours ^^) : lune de miel à l'arrivée ("oh mais tout le monde est si gentil avec moi, mon boulot est trop cool, mes élèves sont si mignons, ma coloc est géniale, han je gagne ma vie comme une grande mais tout ce POGNON je vais pouvoir le dépenser dans tous les sens!"), puis agacement profond ("putain quel job de chiotte j'avance pas et ces élèves quelle bande de petites têtes de noeuds, et cette putain de pluie elle s'arrêtera jamais, on est en Mai et il fait 10 degrés j'ai envie de mourir et y'a pas de fromage") et puis la phase d'adaptation qui a suivie, mais genre 1 mois avant que je m'en aille (lolilol).

    Et sinon bonne chance pour la suite (c'est bientôt la Saint Nicolas et j'ai appris à faire des Mannalas! Je pourrai fêter ça dignement malgré l'éloignement gégographico-climatique!)

    RépondreSupprimer
  2. Hihi, le coup de la susceptibilité culturelle me rappelle justement la Grèce où il ne fallait pas toucher aux sujets tels que :

    - La Macédoine, historiquement, ce n'est pas la Grèce.
    - La pita, c'est quand même un wrap-kebab
    - La feta ça existe aussi en Bulgarie, et c'est pas de l'espionnage industriel
    - Le "café grec" et le "café turc" c'est, et il n'est pas certain que ni l'un ni l'autre n'en ait réellement la paternité.

    Sinon, eux-aussi caca nerveux :-D Je devrais peut-être en parler, d'ailleurs...

    Sans être aussi reclus culturellement, j'ai pas de contact avec les Sames non plus, même si ici c’est plus géographique : J’habite dans le Sud, eux dans le Nord... mais c'est dommage j’aimerai bien avoir plus d'expérience avec eux. Cela dit, leur patrimoine génétique se ballade pas mal quand même par ici, et tous les "asiatiques" n'en sont pas forcément :)

    Finalement, tu as de la chance d'avoir pu suivre la courbe, moi ça m'aurait plu d'avoir une lune de miel quelque part (la Grèce, par exemple, histoire de pas repartir complètement blasé)... D'un autre côté, pour la Finlande, je suis content d'être passé de suite au vif du sujet. Comme j'ai déménagé pour au moins 4 ans, j'apprécie d'être resté réaliste dans les aspects les plus plaisants comme dans... les autres...

    Hé ! C’est cool, pour les menele ! Avec pépites de chocolat et tout ? Moi je fais des bredele ici, les gens apprécient ^^

    RépondreSupprimer
  3. "Vous êtes devenu un intégriste de votre pays d'acceuil."

    Non. Du tout. C'est pas mon genre.

    Non non, j'ai pas lu tous les bouquins d'histoire dispos sur le Rhode Island à la bibliothèque.

    Non non, je vais pas en pèlerinage dans les villages de la Nouvelle-Angleterre où Washington est passé.

    Non non, mon musée préféré de New York n'est pas le musée historique de la ville de NY.

    Non non je ne serais pas capable de faire la visite guidée de Providence.

    C'est pas mon genre.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hum... Et les locaux..... ils... ils t'adressent la parole sur le sujet avec ou sans les sueurs froides ? ^^

      Supprimer