lundi 18 novembre 2013

Choc culturel, intégration et autres poncifs : Le rapport à l'Histoire

Après une petite introduction je vais développer ma propre expérience de choc culturel et d'acculturation. Non seulement parce que ça pourrait en intéresser certains mais soyons franc, aussi parce que ça va me soulager. Dans ma série d'articles sur les trucs qui m'ont gonflés dans d'autres cultures, je commence par un sujet... vaste.

J'évoquais dans mon article précédent le repli de la Grèce sur son Histoire passée (souvent antique, qui plus est) en citant une phrase pompeuse vue aux Météores. Je crois qu'il faut vraiment y revenir, à cet exemple, parce qu'il est idéal. Pour vous remettre dans le contexte, imaginez-vous dans le musée des monastères des Météores, un musée certes sur l'histoire de ce site mais surtout sur celle de la Grèce dans son ensemble, avec des costumes de diverses régions, une rétrospective historique rappelant les grandes batailles - et victoires, surtout - de Hellas ! Vous passez les tableaux en revu dans une petite salle bourrée d'objets exposés et vous tombez sur ceci :

L'Histoire de la Grèce en un tableau. Hé, un méchant allemand ! D'ailleurs on le voit pas bien, mais le peintre s'est foiré avec la swastika comme ces collégiens qui en gravent dans leurs tables sans comprendre que les branches tournent toutes dans la même direction... Il y a aussi le vilain Turc, qui comme tous les vilains Turcs sur tous les tableaux fume un narguilé et tue un chrétien. Pour une raison qui m'échappe, on ne voit pas de cimeterre, pourtant attribut inséparable du vilain Turc sur tableau.

La légende du tableau en question. Merci à Ada-Maaria Hyvärinen pour les trois photos.

Il y a un paquet de choses à dire sur ce tableau et sa légende, et qui résume bien mon blocage face aux Grecs et à leur rapport à leur Histoire (et l'Histoire en général d'ailleurs, puisque les deux semblent se confondre). Notez que la légende nous annonce "Grèce Antique" alors que le tableau va de Adam et Eve - malheureusement hors du cadre, le tableau était très long - à nos jours. Soit la légende n'a rien à faire sous ce tableau, soit leur vision de l'antiquité grecque diffère de celle qu'on apprend au reste des écoliers européens. Et en lisant le texte on comprend que oui, la Grèce millénaire EST la Grèce, EST même le monde ! Ma traduction libre, n'hésitez pas à me corriger :

"La Grèce Antique - lieu de naissance universel et éternel berceau de la civilisation, l'éternel source spirituelle de l'univers, le grand professeur et brillant rayon de lumière de l'Europe, hier, aujourd'hui, et toujours.

Les arts plastiques, architecture, poésie, prose, musique, philosophie, rhétorique, les sciences - toutes les entreprises intellectuelles ont atteint leur apogée et trouvé leur expression charismatique dans la Grèce de l'antiquité classique.

La liberté et la démocratie - des conceptions intriquées qui furent mises en pratique et glorifiées dans leur essence la plus profonde et plus fondamentale à Athènes.

Marathon, Thermopyles, Salamine, éternel symboles d'une haute éthique, de patriotisme, de générosité de l'âme, d'abnégation et de sacrifice. Les épopées d'Homère et le Parthénon - uniques, impérissables monuments de la civilisation globale, un hymne glorifiant et guidant le Mot Écris et l'Art à travers les siècles.

La philosophie de la Grèce Antique - préceptrice de l'Humanité. Elle a élargie les horizons de la pensée et lancée la quête de la vérité. Elle a traité du concept de Dieu unique, "pavant la voie et développant ce que Christ compléta."


Voilà, rien que ça. Alors certes, Homère, le Parthénon, la philosophie... Certes. Mais bon, si des Arabes ou des Chinois, ou des Indiens, etc, lisent ce petit résumé de l'histoire de l'art et de la pensée de la civilisation "universelle" et "éternelle", j'espère qu'ils ne s'en vexeront pas pour autant. La philosophie grecque a préparé Jésus Christ, d'ailleurs, le Dieu unique, c'est elle qui s'en est occupé.

On notera que les "batailles héroïques" sont toutes trois menées contre le Pont, rien sur les Romains ou tout autre ennemi... Mais surtout le coup de la démocratie. Alors ce que cette légende nous dit, c'est quand même :

La liberté et la démocratie - des conceptions intriquées qui furent mises en pratique et glorifiées dans leur essence la plus profonde et plus fondamentale à Athènes.

Alors pour rappel, seuls les citoyens votent dans une démocratie dans son essence fondamentale et profonde à l'athénienne. Donc les hommes nés de père Athénien et ayant fait le service militaire, ou ayant un père et une mère athénienne. Femmes et esclaves (bah oui, esclaves) sont des biens, donc non, et les étrangers, sauf exception, non plus. On peut aussi ostraciser un citoyen en votant contre lui. Il perd tous ses droits et peut être torturé en place publique sans que personne ne lève le petit doigt. Plus citoyen, plus protégé par la Cité ! Et pourtant, le coup de la démocratie née à Athènes, les Grecs le ressortent à toutes les sauces et le brandissent comme si on leur devait quelque chose encore aujourd'hui. Désolé, mais en Islande on votait en assemblées et les femmes avaient un paquet de droits bien avant que les Chrétiens ne ramène leur culture greco-latine dans les parages. La Grèce n'a pas seule paternité de la démocratie, et encore moins dans le sens que l'on lui donne aujourd'hui (qui n'a presque rien à voir). Ce serait comme dire que Charlemagne a inventé l'Union Européenne. C’est un mythe, tenace, qui s'inscrit dans la longue tradition de ce que les Grecs prétendent avoir toujours "eu avant".

On m'a même sorti que "toutes les nations européennes ont eu leur période totalitaire impérialiste sauf la Grèce" qui, elle, a inventé la démocratie ! Comme il leur est facile d'oublier que Athènes a entubé toutes ses alliées grecques dans la Ligue de Délos (aussi appelée... Empire Athénien...). Une mémoire super sélective qui s'applique aussi à l'époque moderne. Par exemple, le Επέτειος του Όχι, le "jour du non", qui célèbre le jour où les fascistes Italiens ont envoyé une missive au grand  leader grec Ioánnis Metaxás pour lui faire savoir que la Grèce était désormais une colonie italienne. Ce à quoi notre héros aurait donc simplement répondu :

Non.

(Ou "alors c'est la guerre", mais "non", c'est plus classe). Avant de bouter les Italiens hors de ses terres et de leur prendre une partie de l'Albanie (La honte pour Mussolini qui a donc appelé son ami Adolf à la rescousse. Ça s’est moins bien passé pour les Grecs). Le "Jour du Non" célèbre l'esprit de résistance grec, la combativité de ce peuple fier et libre, défenseur des valeurs telles que : Liberté, démocratie, Grèce. Bref, la légende sous le tableau. Là où ça devient glauque, c’est de voir des enfants dans des jardins d'enfants remplir joyeusement de couleur des modèles de dessins de soldats hellènes en armes avec le drapeau qui flotte dans le fond... et là où ça devient encore plus flippant c'est que personne ne semble vouloir se souvenir que Ioánnis Metaxás était lui-même un dictateur d'extrême-droite quasi-fasciste qui avait plus à voir avec Mussolini qu'avec ses alliés anglais, n'était l'opportunisme. Donc, pour le Jour du Non  - Fête Nationale quand même - on va voir des jeunes enfants glorifier le jour où un facho grec a dit NON à un facho italien, et ça, c'est le symbole de l'esprit de résistance et de liberté de la Grèce Éternelle.

D'ailleurs, dans ce même musée, si les vitrines sur la Victoire contre les Ottomans et plus tard les Italiens s'accumulent, il y a deux panneaux en tout et pour tout sur la dérouillée prise contre les Allemands, et l'un d'eux n'est que la liste des moines du monastère liquidés par les nazis. Même scénario à Thessalonique ou Athènes. L'histoire, dans un musée grec, c'est quand la Grèce gagne. Le reste c'est un détail qu'il faut vite expédier.

Je pourrais continuer mais avec ces quelques exemples choisis on comprend peut-être mieux pourquoi j'ai eu un énorme problème avec ça, d'autant que le pays affrontait déjà la crise qui se poursuit aujourd'hui. Seulement, dans une culture pareille, l'autocritique est rare et le déni profond. Discuter des problèmes de la Grèce avec des Grecs relève souvent du dialogue de sourd, même si le problème de la corruption n’est généralement pas question à débat. Mais il flotte dans l'air ce parfum de gloire éternelle tellement puant que j'ai fini par abandonner. La Grèce est la source de tout, a tout inventé, et le monde manque de reconnaissance envers elle. Nous sommes ingrats.

Cela dit, ce déni complet face à une grandeur passée dans un pays qui rame et qui croit encore être ce phare à l'horizon des peuples libres ne m'était pas totalement nouveau. J'ai vécu en France assez longtemps pour entendre le refrain sur la France, Patrie des Droits de l'Homme. La France qu'on écoute. La France Résistante. "Une certaine idée de la France" qui n'a, elle non plus, pas grand chose à voir avec la réalité d'aujourd'hui. La différence c'est que la Grèce a déjà le nez dans la misère crasse. 

Quand ton Aldi ressemble à ça, tu sais qu'il y a un problème :


Or, la France n'y est pas encore tout à fait. Elle croit que ça va très mal, et pourtant elle ne croirait jamais que ça, là, des rayonnages vides partout, les fascistes dans les rues qui défilent en chantant le Horst Wessel Lied, le FMI et la BCE qui lui prête en grognant pour éponger sa dette catastrophique pendant que le reste de l'Europe lui impose de vendre le Mont Saint-Michel aux Chinois, ça ne lui arrivera pas. Parce que c'est la FRAAAANCE, et que la France est un grand pays qui ne tombera jamais. C’est une nation éternelle qui a inventé les Droits de l'Homme et l'Europe devrait être à ses pieds - d'ailleurs si tu veux bosser dans l'UE, faut parler Français. Parce qu'on l'a quand même fondée, l'UE. L'Allemand, par contre, pas obligatoire, non, non, mais le FRANÇAIS oui !

Quelque part, j'ai retrouvé en Grèce quelque chose que je ne supportais déjà plus en France, en plus extrême encore, et c'est peut-être la raison pour laquelle cet aspect de la culture grecque me paraît être encore aujourd'hui l'un des plus gros obstacles à mon acculturation durant mon SVE, ce qui a fait que je n'ai pas pu m'y adapter.

La grosse différence avec des similarités apparentes en Finlande, c'est le contexte. Prenons par exemple la Guerre D'hiver, où la Finlande, seule, abandonnée par ses "alliés" de l'Ouest qui lui avaient promis assistance et n'ont fourni que de bons sentiments, a tenu tête à l'Union Soviétique. Les Soviets se sont cassé les dents sur la Finlande, petit pays peu peuplé qui a osé lui montré le doigt et résister à son rouleau compresseur. Si finalement la Finlande a dû céder un traité de paix sous la contrainte, et donc n'a pas gagné cette guerre, elle est parvenu à empêcher son invasion complète malgré tous les pronostics, et a échappé à la satellisation à l'Union soviétique (contrairement aux pays baltes comme sa cousine l'Estonie). Techniquement c'est une défaite, mais pour les Finlandais, c’est une Victoire, le sauvetage d'une indépendance fraîchement acquise (1917, donc à peine une vingtaine d'année plus tôt), la confirmation pour une jeune nation qu'elle veut être libre. Aujourd'hui la guerre d'hiver est glorifiée à l'envi, un peu trop peut-être, mais plusieurs différences font que cela ne m'agace pas.

- Ils ne rattachent pas tout succès actuel à ce passé glorieux
- Ils ne justifient pas leurs actions d'aujourd'hui par le prisme des actions d'hier.

D'ailleurs, si une frange plus "traditionaliste" réclame encore mollement le retour de la Carélie "occupée" à la Finlande, elle n'est guère écoutée, et ces gens sont considérés comme des reliques amusantes et inoffensives. On n'est pas dans la situation grecque ou, pour une question de nom, la Macédoine n’est pas reconnu par la Grèce et ses alliés, parce que la Macédoine, c’est en Grèce ! Faux, d'ailleurs, selon le point de vue de l'époque, mais perdre la Macédoine, pour la Grèce, c’est perdre Alexandre le Grand, or, Alexandre le Grand, il est 100% grec, c'est nous, on a le plus grand Empire de tous les temps ! Cette farce a bloqué l'accession du "FYROM" puisque le nom Macédoine lui est reproché à l'UE pendant des lustres et obligé des statues d'Alexandre le Grand à se faire renommer "Guerrier à cheval" pour éviter des crises diplomatiques avec Athènes.

Avoir un rapport biaisé à son Histoire est une chose presque normale, inévitable. La différence c'est l'extrémité dans laquelle on va pousser le déni et la falsification pour se glorifier à travers un passé révolu, qui excuserait ou justifierait les mauvaises décisions ou mentalités actuelles. La Finlande, nation jeune, est parvenue à créer un équilibre entre patriotisme et réalisme, sortant régulièrement ses drapeaux partout pour des jours commémoratifs de ses auteurs, de sa culture, de son histoire, tout en se questionne régulièrement sur les relations entre Mannerheim et Hitler, et sur l'entente militaire avec l'Allemagne. La Grèce, elle, a ses drapeaux sortis partout et constamment, et ne se pose que peu de questions sur ses zones d'ombre.

Tout est dans la mesure. Ou la démesure.

4 commentaires:

  1. zum Glück offiziel um in die EU zu arbeiten reicht es dass man offizielle Sprachen der EU kann, also zum Beispiel Finnisch und Swedisch. Kann nur schwierig werden, weil man sich auf entweder Englisch, Deutsch oder Französisch bewerben soll. Und als Richter des europäischen Gerichtshofs fühlt man sich ohne Französischkönnen vielleicht einsam in während des geheimen Entscheidungstreffens, wo nicht mal die Dollmetscher teilnehmen dürfen: da wird es auf Französisch gearbeitet. Aber offiziel muss das kein Richter können :) als Finnin will ich gerne vertrauen, dass die Francophonen nicht ihre Position missbrauchen :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ja, es ging um die Mentalität hier, nicht unbedingt um Gesetz (Obwohl, wie du es gesagt hast, im Gerichtshof... )

      Und als Franzose mach ich mir keine Falsche Hoffnung über das Missbrauch der Französische Position, hihi. Oh, Entschuldigung, war ich wieder mal Zynisch ? ^^

      Supprimer
  2. Très intéressant! (Et je rejoins tout à fait ta pensée sur le chauvinisme à la Française et les discours sur la France, meilleur pays du monde - quand j'ai annoncé à mon entourage que je partais en Nouvelle-Zélande, y'a quand même eu des gens pour me dire "Bah pourquoi partir? Y'a tout ce qui faut en France!")

    (C'est vrai ça, pourquoi s'ouvrir au monde, apprendre des langues, rencontrer des gens nouveaux? Alors qu'on peut rester chez nous devant Secret Story? On est con, franchement.)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Surtout que paradoxalement les Français râlent sur tout et n'importe quoi et ne sont jamais contents de ce qui se passe en France... mais dès qu'il s'agit de la France "par rapport à...", là ça change tout. Certes, tout part à vau l'eau, mais ce n'est pas comme la Grèce. Certes, on a de la violence, mais ce n'est pas les USA. Certes, on a du chômage, mais ce n'est pas l'Espagne. Etc, etc. En fait on en revient à la blague de Coluche sur "pourquoi le Coq est le symbole de la France".

      Supprimer