lundi 17 mars 2014

Civisme à l'islandaise

Juste quand j'arrivais en Islande, les choses commençaient à se gâter dans le débat sur l'accession (ou non) du pays à l'Union Européenne. Autant dire que moi qui était intéressé de voir comment les Islandais géraient leurs affaires, j'étais servi. Vous aviez peut-être entendu que les négociations avaient été gelées suites à l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement sur fond de désaccords sur les quotas de pêche. Cela dit, l'UE avait clairement fait savoir que dès que l'Islande voudrait reparler accession, l'Europe était prête continuer les négociations là où on les avait laissées.

Sauf que.

Le nouveau gouvernement, dont la grosse promesse électorale qui les a amené au pouvoir était qu'il y aurait un référendum sur cette fameuse accession, a unilatéralement décidé que finalement non, c'était pas la peine de voter, et que de toute façon c'était mieux pour les Islandais. Ils ont donc dit "On annule notre candidature d'accession".

Pour ceux qui ne sont pas trop familiers avec le comment que ça marche donc l'UE, s'ils font ça et souhaitent retenter l'accession plus tard (quand la crise sera passée et qu'ils se diront que finalement l'idée n'était pas si mal après tout, par exemple), contrairement au "gel", l'annulation les obligera à tout reprendre depuis le début. Ce qui peut prendre cinq ans. Ou dix. (Et l'UE sera peut-être refroidie aussi, situation Turque inversée). Autant dire qu'avant d'annuler la démarche comme on choisi un yaourt au lieu d'une compote au dessert, il vaut mieux y réfléchir à deux fois. Le gouvernement islandais, lui, il n'a pas réfléchi. Et depuis, tous les samedi, c'est des centaines/milliers de gens qui se rendent devant le Parlement pour manifester. Je rappelle à tout hasard que le pays compte 300 000 personnes. Vous comprendrez que contrairement à la France ou l'Allemagne, on ne peut pas ignorer une manifestation. il se peut qu'un tiers de votre électorat soit devant vous, à cet instant précis. Voire plus.

Et c'est là que j'ai été bluffé. En France, on utilise à volonté la fameuse phrase de Voltaire (qui n'est d'ailleurs pas de lui) : "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je mourrai pour que vous puissiez le dire." Sauf qu'on s'en sert surtout quand ça nous arrange en terme d'image, voire pour en réalité se défendre soit-même et ses sympathies, alors qu'un engagement en faveur de l'opposition est en fait assez rare (et encore plus rarement l’œuvre de mouvements populaires). Là, j'ai été positivement surpris par l'ampleur des protestations, notamment... de ceux qui veulent rompre les négociations avec l'UE. 

Parce qu'on leur a promis un référendum, et que même si la décision prise par le gouvernement est celle que beaucoup espèrent en définitive, ils veulent voter, et veulent que ceux qui soient pour puissent s'exprimer et le cas échéant, gagner. Les indécis ne font pas comme en Europe Centrale, attendant de voir qui gagne pour se plaindre. Les gens manifestent pour un débat, pour obtenir des informations des deux bords, pour être éduqués sur l'UE afin de pouvoir voter en connaissance de cause. Et des informations, pas des déclarations à l'emporte-pièce qu'on leur a déjà bien servi. Un beau résumé de la situation :
 
Une personnification de l'Islande se demande "UE ?" et les deux bords lui crient "OUI!!!" et "NON!!!" La légende dit "Informez-vous sur le positif et le négatif et VOTEZ"
Des gens qui manifestent parce qu'ils veulent voter en sachant de quoi ils parlent, j'ai cru que je ne verrai plus ça de mes yeux. J'ai discuté avec une femme après une des manifestations, alors que la foule se dispersait en attendant la semaine suivante, et des gens se sont glissés dans la conversations pour donner leur avis, ravis de m'expliquer de quoi tout cela s'agissait. La plupart étaient indécis voire contre l'entrée de l'Islande dans l'UE, mais insistaient sur l'importance de laisser les gens choisir. J'ai discuté avec pas mal de monde, et même si je ne parlerai pas d'une majorité écrasante, je pense que si le référendum avait lieu, le Non l’emporterai. Cela dit, beaucoup m'avouent clairement ne presque rien savoir sur les conséquences d'une adhésion ou d'une annulation de la procédure, et c'est justement ce qu'ils veulent clarifier et demandent à leur classe politique. Ils refusent la décision à l'emporte-pièce malgré la crise et le chômage, ils ne souhaitent pas de solution vite-fait bien-fait, ils veulent garder le pouvoir et leur mot à dire, prendre le temps de réfléchir, en gardant en tête que s'ils disent Non aujourd'hui et annulent la procédure, ils ferment la porte de l'UE à leurs enfants. Et ça n'a ici rien de partisan, pros et antis sont unanimes.

Et ça fait plaisir à voir.


Bon après, je vais pas dorer le tableau non plus, le gouvernement qu'ils vilipendent est celui qui les a foutu dans la merde en faisant de l'économie ultra-libérale débridée, qu'ils ont remplacé juste à temps pour la Crise, et rappelé quand le pays était définitivement au fond du trou comme si le nouveau gouvernement y était pour quelque chose. Donc bon, le syndrome de la mémoire courte peut frapper ici aussi.

Mais quand même !

PS : Vous apprendrez donc également que ESB, ce n'est pas que The Empire Strikes Back, mais également Evrópusambandið. Étonnant, non ?

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